de perpétuer l’espèce. S’ils secrètent quelque miel mystérieux ou tissent eux-mêmes les écharpes tournoyantes que leur prêtent Greco, Tintoret et autres spécialistes. S’ils jouent de la trompette, par exemple, ce que l’Apocalypse nous laisse prévoir. Bref, il nous plairait de dévorer, à plat ventre, devant les bûches de Noël, un gros livre bourré de détails et de notes qui les concernent. Wells nous raconte la mésaventure de l’un d’eux, devenu visible par accident. Anatole France nous affirme qu’ils s’occupent de politique et se mêlent de nos intrigues. Les films américains les jettent entre les ménages de pasteurs dont, soudain, les machines à écrire et les portes fonctionnent toutes seules. Il n’en reste pas moins vrai qu’ils circulent sur les écrans, sur les scènes, dans les livres et dans les musées, sans oublier les sculptures où ils se sentent moins à l’aise et affectent un aspect plus conventionnel. Moi-même j’ai servi de véhicule à leurs démarches terrestres, comme en témoigne l’ange Heurtebise dans l’acte d’Orphée dont l’affabulation ne semble pas favorable à ce qu’un ange s’y introduise, au premier abord. J’ai consigné dans le livre Opium, les incidents fort bizarres et circonstances malaisément explicables, provoqués par cet ange que j’ai cru inventer et nommer d’après une marque d’ascenseur, un jour que je déjeunais cheZ Picasso, rue La Boétie. Il est vrai que la semaine suivante, ce même ascenseur Heurtebise avait changé de marque et devenait un ascenseur : Abel Pifre. En ce qui me concerne, j’ai toujours beaucoup fréquenté l’énigme des anges. Un regard que je soupçonne assez proche du leur m’a souvent attiré vers des êtres qui disparurent tout d’un coup avec une promptitude conster-nante. J’en arrivai, peu à peu, à me méfier d’une zone dan-gereuse qui m’attirait et que j’imaginais découvrir. Méfiez-vous de cette zone. Elle n’est nulle part et c’est pourquoi nous sommes tenté d’y vivre. Jean COCTEAU L’Ange de l’Apocalypse, sculpté po, Henri Chartier pour le monument aux Morts d’ Aey (Aisne).