LES LIVRES E nouveau roman de Pierre Benoit, le Casino de Barbaque (Albin Michel, édit.), requiert une place de choix dans la brillante série qui va de Kunigsmark à Abia. Ce n’est pas à première vue, ou presque pas, un roman d’aventures ; on serait tenté de le classer dans les romans de mœurs, voire dans les romans psychologiques, si l’on ne s’avisait tout coup que l’aventure n’est pas absente, mais qu’elle se déroule dans les cœurs. Serge Barradat, honnête bourgeois de Mauléon, se laisse prendre aux filets d’Argine Ilianof, danseuse déchue, lui rend sa place aux feux de la rampe et perd le sienne dans la société. Mais, qu’importe ! il a choisi de vivre dans le rêve et se trouve heureux dans une illusion qui ne cessera qu’avec sa vie. Ainsi ce roman subtil, narquois, pathétique, riche d’humour et de fantaisie, rejoint-il les sources du poème. IL serait bien puéril de reprocher à Pierre Benoit de négliger les grands problèmes de son temps. Reproche-t-on Horace à Corneille, Phèdre à Racine ou les Chouans à Balzac ? Pierre Benoit est un poète, et d’une espèce, hélas ! qui se fait rare. Le Casino de Barbagun nous en apporte un nouveau témoignage de qualité. Avec l’Etang Réa. (Arthème Fayard, édit.), Joseph Peyré a écrit un roman quimarque une étape importante dans son navre. Ce grand ami de l’Espagne et des taureaux a été amené en Camargue par son goût de l’arène, où l’homme fait face à la bête. Mais il y a vite oublié la manade au béné-fice du décor. Ou plutôt la manade est passée au second plan. C’est une étrange histoire que celle de l’étang Réal et de la comtesse d’Aimargues. Hommes et femmes y subissent plus qu’ailleurs l’influence de la terre et des eaux, du vent —le terrible mistral — et du soleil et de la pluie. Je ne me risquerai pas à résumer ce livre complexe, où une nature presquevierge encore tient le premier rôle. La comtesse d’Ai-margues s’est prise d’amour pour les étangs et les marais de la Camargue, ses oiseaux et ses taureaux. Elle voudrait préserver son domaine des injures du monde moderne. Elle croit à la vertu des déserts, où l’homme n’a sa place que s’il compose avec des forces qui le dépassent. Un Scandi-nave aux cheveux de lin, le narrateur, médecin vite gagné à sa cause ; Esprit, le braconnier ; Frédéric, le gardian, se tiennent à ses côtés. Disparue, elle aura cependant gagné la partie. Il est impossible de ne pas se laisser prendre au pouvoir envoûtant de ce récit qui, après sa lecture, reste vivant et suscite de longues rêveries dans l’esprit du lecteur. Joseph Peyré s’y montre dans la plénitude de ses moyens. M. Henri Membré a traité dans la Marée d’équinoxe (Denoêl, édit.) un sujet aussi extraordinaire qu’attachant. Un célèbre savant parvenu au seuil de la vieillesse transfère son esprit dans le corps d’un jeune homme inculte. Toute morale mise à part, il pense ainsi pouvoir continuer des recherches qui importent à l’humanité. Mais il n’a pas prévu, d’une part, que dans sa nouvelle enveloppe il subirait certaines tenta-tions, d’autre part, que, poursuivant ses travaux, il ne serait plus considéré que comme un élève bien doué du maitre qu’il fut. Tant et si bien que le docte M. de Maguelonne, membre de l’Institut, sera finalement victime de Paulo-les-Belles-Mains. Amère leçon. Il a été beaucoup parlé, ces derniers temps, du roman de M. Virgil Gheorgiu, la Vingt-Cinquième Heure (Pion, édit.). L’ouvrage mérite en effet d’être lu pour autant qu il met en relief la funeste condition faite à l’homme moderne par ce que l’auteur appelle l’esclavage technique. Dans la société d:auourd’hui les hommes sont remplacés par les citoyens l’Indijvidu ne compte que comme faisant partie du groupe. Et le c citoyen s, né du croisement de l’homme avec les machines, n’a plus rien à dire clans un monde qui partout lui impose des mots d’ordre. Le héros du livre, Johann Moritz, pourra ainsi successivement ètre jeté dans des camps de concentration ou des camps de travail par les Roumains, les Hongrois, les Allemands et les Américains, sans aucune raisiin valable, et simplement parce qu’un préjugé défavorable est contre lui. J’aurais préféré, pour ma part, que M. Gheorgiu, qui a personnellement vécu la plupart de ces aventures, n’en fit point matière d’un roman et nous livrât un témoi-gnage cru. Le souci de lier par un semblant d’intrigue les divers éléments de son dramatique récit l’a, en effet, amené imaginer quelques rencontres un peu arbitraires. Mais, qu’importe ! voilà un livre saisissant où éclate toute la misère du temps, un livre dont la lecture doit être recom-mandée à tous ceux qui ont encore le goût et le culte de la liberté. Moins accompli littérairement que le Zéro et l’Infini, son importance est peut-être plus grande encore, car il s’élève au-dessus du cloisonnement des nations pour démasquer la plaie véritable d’un monde qui court à sa ruine. Il n’est que la poésie pour dominer, en les s sublimant s, les angoisses de la vie. Aussi ne voudrais-je pas manquer de signaler les deux premiers recueils d’une nouvelle collec-tion, dite c les Febvres du vers les Poèmes involontaires, d’André Berry, et les Poèmes, d’Edgar Vales (Henri Lefebvre, édit.). Le titre de cette collection est significatif. N’y auront place que les poètes pour qui la prosodie française n’est pas un mythe d’un autre âge et qui se conforment à ses règles. Si l’on en juge par les poèmes d’André Berry et d’Edgar Vales, é les Febvres du vers pourraient faire quelque bruit et la vraie poésie reprendre auprès d’un vaste public une audience perdue par les analphabètes à la remorque de Paul Eluard et de Jacques Prévert. On connaît l’extraordinaire virtuosité de l’auteur des Esprits de Garonne. Dans ses Poèmes involontaires, faits pour une part de seize é sonnets du sommeil s, conçus, sinon écrits, dans l’état de songe, et pour une autre de „poèmes de l’amour, du mal et de la mort n, il a ouvert la voie à sa sensibilité la plus tendre, la plus secrète, et je ne serais pas éloigné de penser qu’il n’a rien écrit de meilleur. Quant à Edgar Valès, dont c’est le premier recueil, il suffirait de lire son grand poème initial, les Tours de Chartres, pour être convaincu de la hauteur et de la noblesse d’une inspi-ration qui, se refusant toute facilité, retrouve dans un heureux effort les cadences et la solidité d’un Lucrèce sur-veillé par Malherbe. Une longue étude serait nécessaire pour parler dignement de ces deux poètes de la grande lignée. Je souhaite que tous ceux que les grimaces surréalistes et post-surréalistes ont éloigné de la poésie lisent les Poèmes invo-lontaires d’André Berry et les Poèmes d’Edgar Vales: Ils verront que les muses ne sont pas mortes et que l’arbre de Jessé issu de la Chanson de Roland et de Chrétien de Troyes peut encore donner de nouveaux surgeons vigoureux. A l’usage des amateurs de joyeux devis je conseillerai, pour terminer, /esQuarts d’Heure de Rabelais (Editions Rabelais), composés par une vingtaine d’écrivains et de dessinateurs tous humoristes réunis dans l’académie à l’enseigne du père de Pantagruel. Ils y trouveront, entre autres, des textes d’une saveur très relevée, dus à André Berry — qui n’est pas seule-ment poète lyrique — au bon Curnonsky, président de l’Aca-démie Rabelais, à Henri Jean on, à Georges Rayon, à Pierre Seize, à Marcel Grancher, avec des dessins de Sennep, d’Henri Monier, de Julien Pavil, de Michel Herbert et d’H.-P. Gassier. On ne s’ennuie pas à l’ombre du curé de Meudon ! YVES G.DON. Le nouveau livre d’Yves Gandon, En pays singulier, paru récemment (H. Lefebvre, édit.), se situe dans un tout autre climat que ses romans de la série du Pré aux dames. Cinq s histoires insolites s nous entraînent en pays singulier. Si chacune d’elles nous diverti), routes comportent une ■■ moralités que l’auteur dégage sous la forme d’une suite d’audacieuses questions, laissant au lecteur le soin répondre. Ces récits, écrits d’un style ferme, renouvellent la tradition bien française du conte philosophique. NOUS signalons également à nos lecteurs le petit livre de Maurice Aicard, Nice, joie des artistes (Ails. la Maison de Nice), dans lequel l’auteur précise les charmes de cette Provence niçoise si souvent chantée en vers, en prose et en musique.— N. D. L. R. 29