Habit de soirée de Lorys. v LA tÉRITIBLE EST CELLE C’ÉTAIT un homme suprêmement élégant. Tous les matins, il occupait la même table au bar du Hong Kong Hotel sous une plante verte. Il était vêtu d’une robe blanche de soie brochée, fermée sur le devant par de petites olives en passementerie. De son pantalon de soie noire émergeait une cheville gainée de lin et un pied chaussé d’une pantoufle de velours noir à double semelle blanche. Son visage était patiné comme du vieux mir de Cordoue et son front bien dégagé était surmonté d’un léger semis de che-veux argentés qui ne frissonnaient même pas sous les quarante ventilateurs fixés au plafond. Renversé dans son fauteuil, ce vieillard si distingué fumait éternel-lement une cigarette fichée dans une ravissante pièce d’ivoire, et de sa main libre — une longue main qui avait des grâces d’orchidée — il répondait aux saluts qu’on lui adressait. Après chaque salut il se penchait sur son verre d’où pointaient deux pailles et buvait une gorgée de son silverfizz. Un jour que j’avais vu un de mes amis saluer ce vieux dandy chinois qui semblait être la fleur d’une civilisation, je demandai qui il était. ei Lui ? me répondit-on. C’est une des plus vieilles fripouilles de Shanghai venue se réfugier ici depuis les événements. On pourrait faire un roman avec tous les coups pendables qu’il a sur la conscience et qui l’ont d’ailleurs enrichi. Au demeurant un homme d’un commerce fort agréable. Si j’évoque ce souvenir, ce n’est pas pour qu’on en déduise que la véritable élégance est le fruit d’une conscience trouble, mais pour montrer qu’elle est de partout et qu’il n’y a pas qu’à Londres, à Paris ou à Rome qu’on rencontre des hommes bien habillés. L’élé-gance masculine fleurit dans toutes les civilisations et sous tous les climats. Un jour que, par —30 degrés, je me promenais en traîneau à chiens sur le golfe de Bothnie j’y étais conduit par un Finnois qui avait autant d’allure qu’un Boni de Castellane : il portait une culotte et un boléro en phoque doré, des bottes Pardessus d’hiver croisé d’OloIsson. 68