e plomb. GAUGUI N L’ESPOIR depuis longtemps caressé par les admirateurs de Paul Gauguin vient de se réaliser enfin. Plus d’un an après le centenaire de la naissance du peintre, des œuvres capitales du maître de Pont-Aven, des toiles de l’exilé qui s’en était allé chercher dans les terres lointaines une beauté à l’état pur, ont été groupées à l’Orangerie des Tuileries. Ce rassemblement artistique est d’autant plus apprécié que les Gauguins sont rares en France. Pour une fois ils sont venus de tous les coins du monde. Nous avons vus réunis des tableaux que nous ne reverrons peut-être plus jamais quand ils auront réintégré les collections d’Amé-rique, de Scandinavie, de Suisse, de Belgique auxquelles ils appartiennent. Ainsi, d’œuvre en œuvre, avons-nous pu suivre à la trace l’aventure merveilleuse de celui qui au cours d’une vie souvent tragique devint, tout près de Cézanne ou de Van Gogh, l’un des trois créateurs de l’art moderne. Enfin touchés par les recherches émouvantes de Gauguin, des écrivains lui ont consacré des livres en toutes langues. Leur lecture est précieuse, mais cette exposition organisée avec tant d’intelligence permet au visiteur aimant la peinture pour elle-même de comprendre parfaitement l’évolution de l’artiste. Dans sa jeunesse Gauguin avait beaucoup navigué. Revenant à Paris il passe ses dimanches sur les bords de la Seine avec son ami Schuffenecker. Ses tableaux d’alors, assez nombreux à l’Orangerie, évoquent ceux de Pissarro, dont il appréciait le talent. Le portrait de sa femme, une jeune Danoise récemment épousée, ressemble aux Renoirs de la même époque. Mais déjà il a compris que les impressionnistes n’ont aperçu qu’un seul aspect du pro-blème pictural. Ils fixent sur la toile de simples sensations rétiniennes. Pour lui, chercheur passionné, il pressent le lien mystérieux qui existe entre les moyens d’expression mis à la disposition d’un artiste et l’intensité de sa vie intérieure. Si Gauguin s’arrête émerveillé devant l’éton-nante arabesque des gravures japonaises, il éprouve le besoin de dépasser le stade décoratif. En 1887-1888, soit en Bretagne, soit aux Alyscamps, lors de sa rencontre dramatique avec Van Gogh atteint de folie subite, Gauguin a créé quelques œuvres défini-tives, joyaux de l’Orangerie. La Vision après le sermon ou Lutte de Tobie avec l’Ange montre à quel point Gauguin était parvenu à cette intime alliance du fond et de la forme. Le réalisme de l’ouvre fait songer à certains Breughels. Le tableau est déjà un essai de peinture pure. Les rapports de tons y sont d’une audace étrange. Il n’y a rien de littéraire dans cette toile à sujet biblique. Les bonnets blancs des paysannes, les ailes violettes de l’ange, le rouge intense du sol font une harmonie totale. Rien d’anecdotique non plus dans ce Christ jaune, divinité presque barbare qui, sur ses épaules torturées, cachexiques, sur son visage émacié, semble 55