un charme dénoué de dandy, une foi que la pudeur recouvre. Il est le peintre d’un bonheur reconstitué. J’ai parlé de douleur physique. Depuis une dizaine d’années, depuis la guerre, Dufy est sérieusement gêné par la polyarthrite. Certains l’ont montré à demi impotent, aussi paralysé que le Renoir des dernières années. Heureu-sement, il n’en est rien. Tout récemment je suis allé voir Dufy dans le Roussillon où il travaille, en attendant, à la faveur d’un mieux qui s’annonce, de pouvoir regagner Paris. Je l’ai trouvé â l’ceuvre, se déplaçant parfois à l’aide de cannes, mais le poignet et la main libres. s Vous voyez, je suis un rhumatisant qui se porte bien o, m’a-t-il dit dans l’atelier de Perpignan, devant la grande toile du Cargo noir où il essaie de rendre la sensation aveu-glante, l’éblouissement qu’on ressent à regarder la lumière au plein de sa force. Nous avons longuement bavardé, non sans nous rappeler notre rencontre en Sicile, au printemps de 1922, à Taormina, où les orangers et les citronniers embaumaient l’air (pour rejoindre Dufy j’avais failli me tuer en escaladant les rochers qui sur-plombent la mer). Le peintre m’a montré ses dernières toiles, un Dépiquage entre autres, où le bleu, sa couleur, prend une intensité d’une extraordinaire vibration. Rejoignant la t monumentalité,, des peintures de sa période fauve- cubiste, les œuvres récentes de Dufy se distin-guent par leur conception dépouillée de tout élément descriptif. L’objet, qui sert de libération aux sensations accumulées du peintre, remplit l’office de catalyseur. C’est ainsi que la console que j’ai vue dans la chambre de la place Arago n’est plus, dans la Console jaune, le meuble aux volutes Louis XIV, la pièce de curiosité qu’avec un peu de goût et beaucoup d’argent je pourrais acquérir chez l’antiquaire ; instinctivement Dufy en a fait la proie de son œil gourmand, l’un des thèmes de ses variations, posant dessus le violon rouge ou la coupe de pêches. Plus que septuagénaire, Dufy a conservé son extrême jeunesse d’esprit et de cœur. Pour lui, rien n’est acquis, rien n’est jamais fait de chic. Chaque toile nouvelle est une expérience devant laquelle s’efface l’admirable sûreté de sa main. Aujourd’hui comme hier, plus encore peut-Sur su palette cirée chaque couleur lait one tache pure. de I 7. l’artiste. être, le peintre se lance hardiment vers les nouveaux moyens d’expression que dicte l’exigence de son intime pensée. Après les courses, les canotiers, les dessins en couleurs de la vie urbaine ou maritime, l’évocation des fastes de la Troisième République à son déchu, les pers-pectives dynamiques des collines et des eaux, il s’est engagé dans la psychologie de l’optique, ouvrant à sa vision le domaine des profondeurs transparentes. C’est ce qu’il appelle s faire sa théologie ». Aussi ses huiles, dont la technique jusqu’ici ne différait guère de celle des gouaches et des aquarelles, ont-elles maintenant une sur place de Perpignan. Duly cueille un peu de ciel au bout de son pinceau. 41