la nuit. Le oui et le non. Le pour et le contre. Le mariage et le deuil. La vérité et le mensonge. L’innocence et le crime. La vie » et la mort. Le marbre et l’ébène. La neige et la lave. La joie et la tristesse. Le clair et l’obscur. L’encre et le lait. Le positif et le négatif de l’image photographique, de la lumière, du bonheur. Le col et le rabat des prêtres sur la soutane sombre, la dentelle éclatante sur le velours de la Renais-sance, les brèves et les longues de la partition, le clavier où les doigts choisissent les sons, le vêtement des oiseaux de l’Arctique, le chevalier du Bien et le chevalier du Mal dans les vieilles fables, le drapeau de la monarchie et le drapeau de l’anarchie, la robe de l’hermine et le pavillon du pirate, le papier et les caractères de cette page que vous lisez. Le noir et le blanc sont pour nous les deux frontières de la couleur, les deux limites où s’arrête, où s’anéantit le chatoiement du monde. Pour le physicien, ils en sont la négation même : la surface noire est celle qui absorbe indistinctement toutes les ombres du faisceau lumineux qui la touche; la surface blanche, celle qui nous renvoie indistinc-tement, mêlées et confondues jusqu’à s’annuler, toutes les richesses de la gamme colorée. Ils sont donc, à l’état pur, les deux contraires absolus. Unis pourtant l’un à l’autre, dans leur opposition, par cette ressemblance, ou par cette symétrie, ils échappent aux compromis, aux gradations et aux nuances. Là où ils n’atteignent pas l’intégrité de leur essence, là ils cessent d’être. C’est pourquoi ils étaient naturellement destinés à devenir, dans la symbolique des idées, la perfection des contraires, mieux encore que l’eau et le feu, car il arrive à l’eau de brûler, au feu d’être liquide dans la lave ou dans l’alcool, mais le noir et le blanc gardent l’un à l’égard de l’autre la solitude et la virginité des inconciliables. Chacun de son côté, ils signifient cette limite idéale de l’existence, inacces-sible au commun des vivants et des morts, des êtres et des choses, où il est possible de coïncider intégralement avec sa définition, d’être pleinement ce qu’on est. Ils disent, par leur seul nom, la fin de toute équivoque, de tout compromis et de toute ar biguïté. Ces deux absences de couleur sont aussi les deux couleurs pures, il n’y a rien de l’un qui soit dans l’autre. Ils paraissent merveilleusement incapables de variation et mer-veilleusement impénétrables. Et pourtant… Pourtant, si nous abandonnons un moment ce qu’ils signifient pour l’esprit et venons à ce qu’ils signifient pour nos yeux — nos yeux ayant aussi, en ce qui concerne le blanc et le noir, leur mot à dire — nous les voyons se décomposer l’un et l’autre en une multitude de qualités et de nuances, et, dans le même temps qu’ils perdent cette perfection et cette plénitude qui nous paraissaient à l’instant si satisfaisantes, ils s’ouvrent l’un et l’autre sur les profondeurs d’une inépuisable diversité. Il y a des couleurs du blanc et des couleurs du noir, les unes et les autres en nombre incroyable. Nous voilà donc en présence de deux termes qui semblent, l’un erl’autre, concerner deux qualités simples, absolues, sans degrés ni nuances, et qui ne témoignent, en réalité, que de la pauvreté des ressources du langage en face de la chromatique inépuisable des sensations. Nous nous croyions aux deux limites de l’absolu et nous nous retrouvons au coeur de la relativité. L’opposition, il est vrai, n’en persiste pas moins, puisque dans leur échelonnement presque infini les deux gammes du noir et du blanc n’en restent pas moins incapables de se rejoindre, et même de se rapprocher, que n’importe quel noir garde à l’égard de n’importe quel blanc toute sa force d’opposition et de contraste, et qu’il suffit, en quelque sorte, de juxtaposer un noir quelconque à un blanc quelconque pour que l’un et l’autre retrouvent en même temps la violence de leur rayonnement propre et comme l’intégrité de leur nature. De sorte que nous nous apercevons que la relativité de ces notions de noir et de blanc, que nous croyions avoir solidement établie, est elle-même relative, puisqu’elle cesse dans certaines circonstances déterminées. D’où nous pouvons au moins tirer cette conclusion, riche de conséquences philosophiques, que rien dans notre monde ne peut atteindre sa perfection, ni 4