LECTURES DE VACANCES SI nous commençons par le roman, il y a lieu de signaler tout d’abord la rentrée (le M. Pierre Benoit, qui, avec l’Oiseau des ruines (Albin Michel, édit.), montre qu’il n’a rien perdu de ses exceptionnelles qualités de conteur. L’action se déroule dans ces Landes qu’il connaît bien, et, dés le début du livre, qui évoque les meil-leures pages d’Axelle et de Mademoiselle de La Ferté, le lecteur est plongé dans une atmosphère étrange, envoû-tante et d’une qualité proprement poétique. J’imagine ce roman signé par un jeune auteur. Comme toute la critique s’emploierait à souligner les singularités d’un art d’autant plus sûr qu’il n’appuie jamais ses effets ! Je songe notam-ment à ces paliers d’émotion obtenus par le retour de l’inquiétant oiseau qui fournit le titre de l’ouvrage. Je songe aussi à l’habileté d’une technique qui nous laisse ignorer jusqu’à la fin du récit l’étonnante imposture du prétendu comte de Born. Mais, j’en ai déjà trop dit, car le grand mérite de Pierre Benoit romancier est juste-ment de faire éclater la surprise aux toutes dernières pages du conte. Je sue tairai donc sur le cas d’Agathe de Born, captivante héroïne, qu’il faut, malgré qu’on en ait, abandonner avec son secret. Il va sans dire que Pierre Benoit n’a pas renoncé à son innocente manie de la mystification et que les gens d’esprit trouveront ici leur compte. Le mélancolique, ingénieux et tendre Oiseau des ruines est un Benoit d’une bonne année ! La Belle Endormie (Robert Laffont, édit.), de François de Roux, marque aussi une importante rentrée dans les lettres, puisque l’auteur de Brune (Robert Leoni, édit.) n’avait publié aucun ouvrage depuis 1942. Ce long silence s’explique par le fait que la Belle Endormie nous est donnée comme le premier volume d’une vaste suite romanesque intitulée les Illusions sentimentales. Ce volume, d’ailleurs, se suffit à lui-même. Il ne constitue pas une scène ni un épisode, mais un roman complet. La matière, de prime abord, parait frêle. Il s’agit, essen-tiellement, dans les milieux surréalistes ou parasurréalistes des années vingt, de l’aventure amoureuse de Jacques Robernier et de la belle Ygline, et le romancier n’a pas eu l’ambition de brosser une peinture balzacienne. Comme Brune, comme l’Ombrageuse, la Belle Endormie est un roman d’analyse, et François de Roux se meut avec une rare subtilité dans les complications senti-mentales de son héros, naturellement soumises, quoique dans une faible mesure, aux particularités du temps. Jacques Robernier, contre le gré de sa famille, aime l’indépendante Ygline, vit quelque temps avec elle, puis s’en déprend. C’est tout, mais il est impossible de montrer plus de délicatesse dans la narration d’un cas d’une simplicité aussi classique. On ne s’arrache à la Belle Endormie qu’avec peine et après être parvenu à la dernière page. J’ai ouvert avec une grande curiosité le second roman de M. Albert Camus, la Peste (Gallimard, édit.). En dépit d’indéniables qualités, l’Etranger ne m’avait pas convaincu des dons proprement romanesques de son auteur. M. Albert Camus est un journaliste et un essayiste — disons, tout court, un écrivain d’un très grand mérite. Il a pour lui le courage intellectuel, la sincérité, la lucidité. Je ne lui reprocherai certes pas d’écrire des romans s idées s, comme il a écrit, avec Caligula et le Malentendu, des pièces à idées. Je regrette seulement que ses idées se fassent trop voir et qu’elles ne se fondent pas dans le récit ou le dialogue jusqu’à faire corps avec lui. La peste s’est déclarée dans la ville d’Oman, que l’épidémie coupe brutalement du reste du monde. Un narrateur, le docteur Bernard Rieux, s’en fait l’historiographe. C’est très exactement le sujet du Journal de l’année de la peste de Daniel de Foe. Les deux ouvrages sont pourtant très différents. Tout d’abord, alors que l’auteur de Robinson Crusoé n’eut pas d’autre objet que de rapporter, le plus objectivement possible, les circonstances du fléau, M. Albert Camus y a surtout vu l’occasion d’une allégorie. La ville d’Oran surprise par la peste, c’est pour lai la France occupée de 1940 à 1944. Ainsi s’efforce-t-il de faire coïncider les infortunes nées de l’occupation et celles dont peut être responsable un microbe malin. L’ennui est que la coïncidence est parfois un peu forcée. En second lieu, M. Camus, qui n’oublie jamais sa qualité d’essayiste, ou, si l’on préfère, de penseur a voulu illustrer, du même coup, quelques-unes de ses idées les plus familières. (Peut-on être saint sans Dieu ? N’y a-t-il pas de la honte à être heureux tout seul ?) on l’applaudit de grand cœur, lorsqu’il fait dire à un de ses porte-parole : r J’ai décidé de refuser tout ce qui, de près ou de loin, fait mourir ou justifie qu’on fasse mourir. o Mais, enfin, ces excellents propos débordent le cadre du roman; la Peste, en tant que roman, est d’une invention assez pauvre, d’un développement monotone, et, dans son style en grisaille, nous invite à penser que M. Camus se fourvoie dans un genre pour lequel il n’est pas fait, ce qui, j’y insiste, ne l’empêche point d’être un écrivain hautement estimable. Il me reste bien peu de place pour dire tout le bien que je pense de la Course d’entre deux parts (René Julliard, édit.) que vient de publier M. André Berry. On ne sait pas encore assez la grande place que le poète des Esprits de Garonne tient dans la littérature de ce temps. La Course d’entre deux ports, r conte et chant de la seconde vie o, fait suite au Trésor des lais, a conte et chant de la première vie », où ce troubadour inspiré commenta lyriquement les avatars de sa pittoresque existence. Dans les mètres les plus stricts, ressortissant à l’esthé-tique de l’école gallicane, André Berry chante inlassable-ment les paysages et les sociétés, les amis et les amantes. Je connais bien peu de poèmes d’un accent aussi pénétrant que le Lai de Jessica trouvée ou le Lai du cimetière des poètes. Il faudrait une longue étude pour faire apparaître l’originalité profonde d’un écrivain qui, acceptant toutes les contraintes, les surmonte comme en se jouant et renouvelle le vieux fond de notre meilleure tradition poétique. YVES Guenon. Les deux premiers albums de la collection o Plastique ee, publiée sous la direction de Georges Besson aux Editions Braun et C », consacrés l’un à Maillol, l’autre à Rodin, sont illustrés de magni-fiques photographies d’André Steiner, reproduites en héliogravure à la main. Les Editions Jacques Petit (Angers) ont pris l’heureuse initiative d’éditer un charmant livre destiné à inciter les Français d’aujourd’hui à noter un jour le jour, comme le faisaient ceux d’hier, tous les événements vécus dans leur famille. Au volume principal, qui a pour titre Du livre de raison au livre de famille, sont joints, en annexe, des feuillets à remplir avec les souvenirs des membres du groupe familial. Sous le titre le Pavillon des délices regrettées viennent d’être rééditées par Robert Leoni trois plaquettes du poète chinois Tsing-Pain-Yang, parues en 1942. C’est en réalité Yves Gandon qui est l’auteur de ce livre délicieux, dont la présentation, en deux couleurs, sur vélin blanc de Rives, est très soignée. — N. D. L. A. 61