EN A. O. F. AU PAYS DES « ROSES NOIRES » PAYS où toutes les beautés sont noires comme sont les fleurs de bananier au parfum éternel, cachées dans le fouillis d’une végétation tropicale où, sous un ciel toujours pur, des arbres toujours fleuris portent l’âme à une douce sérénité. Rêve étrange où l’on rencontre les femmes de Saint-Louis restées fidèles au costume et à la coiffure ancienne rehaussée de bijoux d’or pâle. Dans cette ville évoquant les fastes de Faidherbe, la vie est encore celle des familles archatques de pasteurs et de guerriers. L’organisation sociale est analogue à celle des anciennes tribus sémitiques et hamyarites de l’Arabie islamique. Les Maures et les Touareg de race blanche restent du type sémite ; ces derniers ont une ligne plus pure, d’autant plus farouchement conservée qu’ils sont en contact avec des populations noires. Pour le Targui, le noir demeure toujours simple captif e, alors que lui garde au coeur l’éternelle supériorité du cavalier voilé. A Mamou réside le grand chef et pape des Peuhls, l’Almamy ; il règne pacifiquement sur ces musulmans venus de l’Est en conquérants entre le xvie et le xvne siècle. Très métissés au cours de leurs migrations, ils ont su néanmoins conserver une physionomie très particulière et maintenir intactes leur langue et leur civilisation. Les mosquées, ici couvertes de chaume, ont adopté la forme des très grandes cases locales… Nous voilà loin du minaret, inséparable du chant des muezzins auxquels l’Islam nous a habitués. Dans les régions sauvages et tourmentées du Sud, on se heurte à la forêt primaire, très dense. Là, l’humidité règne sur des peuplades d’humeur sombre, hier encore anthropophages, mais qui maintenant, dans les clairières, s’adonnent de plus en plus à l’agriculture. Dans la lumière aveuglante du Niger s’agitent les bonzes, magnifiques nageurs, conduisant avec habileté des pirogues d’une longueur impressionnante. La vie à bord de ces embarcations est intense; on y fait du feu pour la préparation des repas, on y dort en voyageant la nuit pour éviter les grandes chaleurs. Les petites embarcations avec leur rouf évoquent les vote des mastabas égyptiens dédiés aux ancêtres lointains vivant en esclaves sur le Nil. Au bord du fleuve dispensateur de vie, les enfants noirs viennent abreuver de fières cavales sans mors ni étriers ; vêtus d’une simple draperie flottant dans le dos, ils semblent la réplique vivante du bas-relief de marbre du Parthénon. C’est dans cette région que l’on rencontre le type peuhl le plus pur, femme au teint cuivré que l’on situerait plutôt autour de l’océan Indien. A Bandiagara, dans une mare peuplée de caimans sacrés repus des détritus de l’abattoir voisin, les enfants indigènes se baignent sans crainte. Plus loin, Sangha groupe de nombreux villages fétichistes, dont les coutumes et danses funé-raires à caractère sacré rejoignent celles qui nous sont connues par la mythologie grecque, tant par la figuration des masques que par le s cosmos s régissant cette religion animiste où l’on retrouve l’ivresse sacrée due à la bière de mil ! Sur 150 kilomètres de falaise sont ainsi juchés des vil-lages où se sont réfugiés les Habbés, plus connus sous le nom de Dogons, venus de la plaine pour échapper aux razzias peuhls et éviter la profanation des sépultures de leurs ancêtres. Aussi ont-ils construit leurs nécropoles dans cette muraille abrupte, où l’on chemine au milieu d’éboulis tita-nesques. Des tunnels naturels, facilement obstrués par quelques grosses pierres en cas d’agression, les relient au sommet de la falaise et à la plaine où ils se ravitaillent. Dans le Haut-Dahomey, Natitingou est le fief des Sombas, race splendide, vivant intégrale-ment nue. Rien de plus émouvant que de voir assister à la messe de minuit ces couples dans la tenue d’Adam et d’Eve. On se croirait devant le tableau animé d’un primitif, représentant le Jugement Dernier; tous ces êtres comparaissent devant Dieu dans le plus simple appareil et fort à leur aise dans leur nudité. Seul, le port de l’arc et du carquois, de l’épée ou de la hachette donne une sil-houette martiale, pleine de noblesse, à ces hommes vivant loin de notre civilisation. Tous ces peuples ont pour eux le vrai bonheur, celui qui fait que, ne possédant rien, ils vivent heureux, en chantant, dansant et s’aimant, tout en travaillant la terre. Quelle belle leçon de philo-sophie ils nous donnent !… ROGER BEZOMBES. Notes et croquis de voyage. L’Alteramy, grand chef 40 pape des Peuhls (Maso