CARENCE DE L’ÉTAT C’EST une bien étrange façon de gérer les intérets de la France que de laisser dans la plus sordide des indigences le Ministère dont dépendent les activités d’où notre pays tire, aux yeux de l’étranger, la moins discutée de ses suprématies. Nous voulons parler du budget des Beau x- Arts. La Société des Artistes Décorateurs a ouvert cette année son 35 Salon dans la moitié du Grand-Palais au moment qu’y finissait, dans l’autre moitié, l’exposition du « Centenaire du Timbre français ». Curieuse coïncidence et qui va nous permettre d’utiles comparaisons. Certes, nous n’avons pas l’in-tention d’amoindrir, eu égard aux recettes de l’État, l’importance qu’a pris, au cours de ces dernières années, le collectionneur de timbres-poste. Et nous apprécions comme il convient la haute intelligence et la profonde culture qui sont requises pour coller dans un album, à la place indiquée, des petits bouts de papier gravés, pour en observer à la loupe les moindres détails, en compter les dentelures, en examiner la colle, etc., etc… toutes préoccupations dont la gravité n’échappe à personne. Donc, l’exposition du Centenaire du Timbre a duré douze jours. L’État lui a accordé une subvention de vingt millions. Le Salon des Décorateurs va durer deux mois, l’État lui a refusé la subvention de cinq cents mille francs que, modestement, il sollicitait. L’Exposition du Centenaire du Timbre a, comme recettes accessoires, la location des stands au commerce si nombreux et si florissant des timbres-poste de collection, et les participations étrangères. Nous nous sommes laissé dire que son budget s’équilibrait aux environs de quatre-vingt-quinze millions. Est-ce exact ? Le Secrétariat général, interviewé par nous sur ce sujet, reste muet et « préfère qu’on n’en parle pas ». Voilà qui est fait. Comment donc dépenser tout cet argent ? Il a bien fallu s’ingénier. Adonc, dans un fort instructif circuit, on a montré l’histoire de la Poste, des Romains à nos jours. On a construit des stands tournants, à évolution automatique, rela-tant l’histoire dé La Vallette (?) et de son évasion, on a disposé dans de coûteuses vitrines des modèles en réduction de voitures de poste, de wagons-poste, etc… Toute la partie du Grand-Palais où sont présentées les participations étran-gères, est revêtue de drapeaux, non pas tendus, comme on pourrait le croire dans une période de pénurie, mais plissés à gros plis serrés et bouffants. Au centre se trouve un jardin, un bassin, des jets d’eau. Pour tout cela ( » Le Monde  » nous l’a révélé dans un supplément publié aux frais de l’Exposition et distri-bué gratuitement à profusion !) il a fallu : « au total : 250 ouvriers spécialisés, 30.000 heures de travail, 20.000 mq de bois, 10.000 mq de contreplaqué ». Le Salon des Décorateurs lui, n’avait pas en caisse le premier sou des quelques millions nécessaires pour s’installer. Il lui a fallu faire appel à des syndicats, à ses fournisseurs. Les chefs de groupe, tous artistes célèbres ou notoires, ont dû se déguiser en mendiants pour obtenir ici des sols de marbre, là des revêtements de matière plastique, ici des papiers peints, là de la pein-ture et surtout des tissus, des tissus pour cacher, maquiller sa misère. Mais ils n’ont pu trouver ni aide ni concours pour avoir un jardin. Et c’est avec ces moyens-de fortune, mais soutenus par une foi, une per-sévérance inlassables que les décorateurs ont réalisé pour la plus grande gloire de l’Art français, l’admirable manifestation que l’on a pu voir, jetant à travers le monde la semence de leur art neuf que chacun copiera, dont chacun .s’ins-pirera, dont chacun s’enrichira. Si l’on songe à la répercussion économique qu’une semblable manifes-tation exerce sur toutes les industries qui s’y rattachent, à l’importance des risques courus dans le moment que la plupart des chefs d’entreprise réduisent leur train et vivent au ralenti, il convient de saluer bien bas ces lutteurs en souhaitant que l’État prenne enfin conscience de ses devoirs envers eux. LE DÉCOR D’AUJOURD’HUI 21