– TAPIS EN RELIEF PAR LUCIEN LAINÉ L’UNIFORMITÉ rend tout insupportable a écrit Montes-quieu. Les grandes surfaces planes ne sont cependant pas uniformes. La mer est crêtée de vagues, la plaine est couverte de cultures et d’arbres variés. Le tapis évoque généralement une surface très plane: on parle d’un tapis de gazon, comme d’un tapis de mousse, d’un tapis de neige, et. depuis le début du XX siècle, la vogue du tapis uni — c’est-à-dire de la moquette sans dessins — s’est constamment affirmée. D’ailleurs uni ne signifie pas uniforme et la variété des nuances, des contex-tures, des fils de laine du velours a fait que le tapis n’a pas engendré l’uniformité, donc l’ennui ! Mais il a heureu-sement apporté avec le confort, le silence et le repos à nos pauvres nerfs de « civilisés ». L’architecture d’aujourd’hui, toute en surfaces et en volumes, en lumière et en ombre, n’a pas été sans influen-cer les créateurs de tapis. Depuis quelque temps déjà, nous avons pu admirer des productions dans lesquelles les mèches de laine qui constituent le velours ne sont plus fixées uniformément sur le canevas de base; tantôt elles sont tissées horizontalement sous la forme de gros boudins de laine cardée, séparés par des trames plus petites formant sillons, tantôt elles sont accrochées verti-calement, mais sur une partie du canevas seulement. La surface du tapis est donc constituée, dans ce cas, par des portions de velours et des champs de tissu ras donnant ainsi par le jeu de l’incidence de la lumière — surtout quand il s’agit du jour latéral dans un appartement —des effets d’ombre et de clarté qui accentuent le relief d’une façon très heureuse. Enfin, dans certains tapis, les mèches du velours sont très longues, peu tassées et retombent un peu dans tous les sens, à la manière d’un champ de blé ou encore d’une chevelure folle. Là encore, cette implantation se rencontre partielle ou totale. Ces tapis en relief ont été réalisés en France sur des métiers à la main, mais il faut rendre à César — c’est-à-dire au Maroc — ce qui lui appartient. Le tapis à velours partiel sur champ ras est l’enfant du hembel (ou hambil) fabriqué à Salé et à Rabat. Le tapis « chevelu », c’est le fameux tapis des berbères nomades, le tapis Chleuh. On sait toute l’influence qu’a exercé l’art marocain sur nos fabrications de tissus — tissus pour vêtements et tissus pour ameublement. Les adaptations ont d’ailleurs été très heureuses et il est amusant de constater que la pénétra-tion coloniale, même pacifique, s’est effectuée, dans le cas présent, en sens inverse le conquérant politique est devenu un sujet dans le domaine de l’art. Les photographies qui accompagnent cette petite étude montrent les trois espèces de tapis en relief que nous avons décrit : Grosses côtes — Champs de velours, sur fond ras— Velours chevelu. Mais ce qui fait l’originalité des spécimens présentés, c’est qu’ils sont obtenus mécanique-ment en conservant l’aspect fantaisiste du tissage à la main. La fabrication, qui a été brevetée, a permis d’obtenir un nouage solide des mèches de laine et la liaison parfaite avec la contexture de base. On a conservé le nom de «Chleuh » aux tapis chevelus afin d’en bien caractériser le genre. Certains modèles aux laines toutes blanches donnent l’aspect d’une véritable toison. D’autres sont exécutés en nuances tendres, pastel. Il est certain que plus le décor intérieur de la maison est dépouillé d’attributs, voire d’oripeaux, plus le tapis doit apporter de richesse, sinon dans la palette, du moins dans la contexture, dans l’ « étoffe ». Les tapis en relief forment un support admirable pour les meubles métalliques, pour les chromes, les verres et les glaces. L’ensemble est mis en valeur par la réaction de la laine épaisse, absorbante et chaude sur le métal froid, mais lumineux et rayonnant. Et les « reliefs » de certains grands tapis, reposants pour la vue, font songer à des buil-dings ou à des jardins vus d’un très haut plafond… celui des nuages où planent les avions. Dans l’Antiquité, on voyait les choses de moins haut, mais on cherchait à les survoler quand même. Les Persans nous ont appris à aimer les perspectives cavalières. Un des premiers genres de tapis qu’ils aient réalisés, c’est le tapis-jardin qui reproduisait des allées, des plates-bandes, des ruisseaux et des cyprès. Les belles compositions. l’ordonnance rationnelle, la symétrie logique ne sont pas des inventions modernes, 21