L’ART ET LES ARTISTES année, ceux du Dieu Bleu, de la Péri, d’CEdipe à Colone et de Baba-Jaga, conte russe, que nous espérons voir réalisés l’année prochaine. M. Léon Bakst a « corsé ,, le tout de divers dessins, portraits et paysages, dont je n’ai pas grand’chose à dire, sauf que j’ai été bien étonné de trouver à côté de toutes ces fantaisies orientales, des croquis pris dans un pauvre petit village de ma Savoie; et puis, à y bien réfléchir, j’ai pensé que la forme de nos clochers bulbes, si caractéristiques, avait dù rappeler à M. Bakst les clochers russes du Kremlin et, qu’à la faveur de cette illusion, il s’était attardé quelques jours à l’ombre de ces églises. —Enfin, on a vu l’esquisse d’une décoration en deux parties pour le palais Ruperti à Moscou Chloé abandonnée et Les Troupeaux de Daphnis se séparer! des Troupeaux de Chloé d la tombée du soir. Dans cette esquisse, j’ai retrouvé les qualités habituelles de l’auteur tons entiers, jouant très purs, rythme noble; on me dit que cette composition est destinée à un hall, situé entre deux jardins, recevant deux éclairages, et qu’elle cherche à rappeler au dedans les colorations du dehors. Il m’est bien difficile d’en juger, ne l’ayant pas vue sur place et exécutée : qu’est-il advenu de tant d’esquisses charmantes, que nous avions admirées aux Salons ? N’est-ce pas Le Moine qui disait : « Il faut trente ans de métier pour savoir conserver son esquisse st ; et Chardin, qui citait Le Moine, ajoutait finement : « Le Moine n’était pas un sot e. Je me défends par là d’insinuer que M. Bakst ne soit pas capable de conserver son esquisse, bien qu’il n’ait pas tout à fait trente ans de métier. Mais enfin, le succès qui s’affirme en faveur de ses décors est de la même qualité que celui qui s’adresse aux esquisses. Le public les dépasse en quelque sorte, il leur prête la richesse de son esprit et de son coeur, il imagine cc qu’ils suggèrent, devinent ce qu’elles ne réalisent pas : et voilà pourquoi il les aime; c’est qu’elles lui donnent l’occasion de se prouver à lui-même qu’il est capable de belles imaginations. Quand il s’agit de décors, il y ajoute des réminiscences sen-suelles; il revoit, j’en suis sùr, à travers les cos-tumes de M. Bakst, les belles jambes de M » Ida Rubinstein, il croit entendre dans la forêt sombre où expire saint Sébastien, l’écho mélancolique de la musique de Claude Debussy, il espère devant l’apparition de la Péri les accents de Paul Dukas, il a encore dans le regard les inflexions tendres ou violentes de l’électricité, il se rappelle Nijinski s’en-volant d’un bond par la fenêtre, dans le Spectre de la Rose — le délicat poème de Théophile Gautier — la grâce rêveuse de M. Tamar Karsavina, la jeune fille qui rêve à la valse, et il achève, en les complétant de tout ce qu’elles doivent précisément compléter, les séduisantes ébauches et débauches colorées de M. Bakst. Cet artiste a décidément bien de la chasser l’électricien, le poète, le musicien, l’être humain, conspirent pour qu’il nous plaise. Et il a plû. Et il a fait pâmer d’aise les femmes vêtues de violet et de vert, et, dans les proses déli-quescentes des jeunes esthètes, ont passé les sou-pirs passionnément ingénus des vieilles dames maquillées. Et tous ceux qui ont l’horreur du goût académique — qu’est-ce au juste ? — et les femmes, et les néo-impressionnistes, et tous ceux qui parlent de musique quand il s’agit de peinture et de symbolisme sous prétexte de statuaire, se sont encore trouvés réunis dans la communion de Bakst, comme ils avaient déjà communié sous l’invoca-tion de saisit Sébastien, créant une nouvelle église, l’église russe, malgré les foudres de Mgr Assiette. Ce sont eux sans doute que Mgr Amette, archevêque de Paris, a prétendu excommunier, eux qui, voulant nous habiller en Turcs, en Persans ou en Syriaques et nous apprendre à parler un sublime mamamouchi, oublient que stouts sommes Français. Mais réservons notre indulgence à M. Bakst et aux peintres décorateurs de M. Serge de Diaghilev,: ce n’est pas leur faute si des amitiés inconsidérées les élèvent au pinacle où ils auraient grand’peine à se maintenir, et font de ces artistes appréciés, remplis de bonnes intentions, les émules des grands maitres. Ce qui me plaît en eus, plus que leurs oeuvres prises en elles-mêmes, abstraction faite de toute collaboration, ce sont leurs oeuvres réalisées au théâtre, ce sont les principes du décor théâtral auxquels elles obéissent et que j’ai exposé, ici même, l’an dernier : simplification du décor rusticité à quelques lignes essentielles et couleurs fonda-mentales, harmonie du costume et de la toile de fond, tonalités employées très pures, emploi judi-cieux et souple de l’électricité ; je ne reviendrai pas là-dessus. Le triomphe des ballets russes à Paris prouve-t-il que le grand public est acquis à cette nouvelle conception du décor synthétique et qu’il l’oppose dès maintenant à l’ancienne conception du décor analvtique,en trompe-l’ail? Le triomphe de la troupe de M. Serge de Diaghilew manifeste-t-il qu’il y a enfin quelque chose de changé sous la coupole des théâtres parisiens ? J’aimerais à le croire. Au premier examen, cependant, il n’appa-rait pas que les grands théâtres des boulevards et les théâtres subventionnés aient tenté quelque chose dans ce sens; ni à la Comédie Française, ni à l’Odéon, ni à l’Opéra-Comique, ni aux Variétés, ni au Gymnase, ni au Vaudeville, ni aucune part, que je sache, on n’a essayé de s’affranchir du vieux système et de supprimer les misérables imitations 280