rieuses et profondes, des problèmes chaque jour plus complexes, eux aussi, et dont l’étude s’éloigne de plus en plus des préoccu-pations courantes de la foule. C’est même une chose assez étrange que plus un artiste recherche dans son oeuvre à suggé-rer une émotion simple et d’ordre général, capa-ble de toucher tous les êtres, plus les moyens qu’il emploie deviennent inscrutables. M. Lévy-Dhurmer, dont la technique avait toujours été très raffinée, depuis quelque temps est arrivé à un point de subti-lité vraiment intense. Je le répète, la joie que cela peut nous causer ne l’in-téresse que d’une façon secondaire. Ce n’est qu’un moyen en vue d’un des-sein beaucoup plus haut. Mais ce moyen m’intéresse parce que, au delà du plaisir matériel qu’il donne aux yeux, il a corres-pondu, chez le peintre, à une évolution vraiment capitale. En bloc, imaginez le pointillisme. Mais un poin-tillisme dont chaque touche, au lieu de s’arrêter aux limitesde sa propre dimension, s’effile,s’effuse, se brise et se contourne, souple ligne de couleur, d’une légèreté aérienne, à quelques pas indiscerna-ble et qui, pénétrant sur une certaine longueur à même le lacis inextricable des autres touches, en modifie indéfiniment la vibration. Cette manière (dont de pauvres mots expriment très mal la sub-tilité) a retenu du pointillisme ce qu’il contenait de vrai sans donner l’impression de mosaïque inerte ou artificielle qu’il présente si souvent. Le travail du peintre ici suggère plus encore qu’il n’imite celui de la nature, de la lumière. Dans les tableaux peints par M.Lévv-Dhurmer suivant cette méthode, il n’y a plus de contours, mais à la limite des objets une sorte de zone, de frontière indécise où se jouent, mêlés, les atomes lumineux des bords de l’objet et de l’ambiance. Je n’insiste pas sur ce qu’un tel procédé offre de difficultés et de travail. Car ce qui m’intéresse davantage, c’est le tact avec lequel, tout en donnant une impression de rêve de lumière, l’artiste sait L’ART ET LES ARTISTES MENDIANTS ESPAGNOLS rester quand même réel par la justesse de son observation des couleurs, du volume des choses. Ainsi ses études de Ve-nise, de Constantinople, certaines vues de mon-tagnes, surtout ses nus, étonnantes visions du corps féminin, étudiées sous toutes les lumières, du crépuscule nocturne au plein éblouissement de midi dans les blés. De loin, les contours se rétablissent, nets et purs, juste assez estompés pour ne pas nous donner des formes de la nature dette idée linéaire et sché-matique qu’en donne le dessin. De près, un autre tableau nous enchante, plus abstrait et plus maté-riel à la fois et, comme une fugue, sans sujet, jeu d’atonies idéal, déli-ces visuels. A force de travail, de méditation, M. Lévy-Dhurmer en est arrivé au point d’équilibre qu’il avait, même à son insu, toujours cherché. Dans les Roses d’Ispahan, dans l’Apres-midi d’un Faune, dans Fantaisies sur l’Automne (qu’il peignit pour M. Charles Stern), oeuvres qui représentent le dernier aboutissement actuel de son évolution, il donne de la nature une interprétation nouvelle, toute décorative et toute idéale. Si les objets qu’il représente gardent leur couleur propre et leur forme essentielle, du moins perdent-ils cette sèche accentuation de leur contour qui est pour nous inséparable de l’idée de leur matérialité. Ainsi de-viennent-ils plus subtils, plus légers et cousine plutôt l’évocation d’eux-mêmes. C’est pourquoi les tableaux de l’artiste contiennent une t res grande, très douce et très insistante force de suggestion. Nous sommes devant eux comme devant le rêve que nous nous faisons de ce qu’ils représentent. Ils ne trahissent pas notre imagination. En cette étude je n’ai point parlé de l’homme, qui est discret, distant, attentif seulement à son oeuvre. On le voit peu, car il évite également les parlottes de théoriciens et les officines où s’élabore le succès. Sa vie est tout entière dans son évolution d’artiste. Quant à ses rêves, il est facile de les de-viner, avoués qu’ils sont, sur ses toiles, rêve à 262