I I I; II I PORTRAIT DE GEORGES RODENBACH Oui, c’était tout celé, en effet, et quelques res-trictions que j’y apporte, elles n’approcheront jamais de l’opinion sévère que le peintre lui-même, évadé de cette dangereuse léthargie, porte aujour-d’hui sur cette partie de son oeuvre. Pourtant, il y avait, dans ces illustrations trop suaves, quelque chose qui dépassait infiniment la suggestion toute littéraire des sujets choisis, il y avait une suggestion supérieure et comme une promesse de vie. Où résidait-elle ? Je ne saurais le préciser. Ce serait d’autant plus difficile, en effet, que le peintre semblait appeler toute none attention sur l’immé-diate représentation de sa toile paysages imagi-naires où notre désir eût aimé vivre, visages pen-sifs aux yeux résorbes sur les images immobiles de la vie intérieure. Tant et si bien que quelques esprits maniaques de classifications rapides firent de M. Lévy-Dhurnfer un peintre littéraire, et plus tard y mirent même une certaine obstination et quelque mauvaise foi. Il y a dans toute oeuvre où son créateur a beau-coup mis de lui-même quelque chose qui nous avertit de celé, une sorte d’irradiation magnétique indéfinissable, mais certaine. Nous ne savons rien de l’homme, mais nous sentons qu’il existe der-rière ce témoignage momentané, qu’il est capable d’émaner d’autres apparences. lit si nous voulons bien lui prêter plus d’attention encore, nous dis-Musée du Luxembourg. cernons quelque chose de ses volontés obscures. L’obscure volonté de M. Lévy-Dhunner, au plus fort de son culte des musées, était d’atteindre au delà d’une manière, et dut-il en abandonner plusieurs, cette suggestion d’émotion, pure de tout élément étranger, directe enfin, sans laquelle il n’est point d’oeuvre d’art durable. Cela dut s’organiser en lui, dans les limbes du subconscient, au-dessous des préoccupations cou-rantes de son métier, à l’écart de ses progrès tech-niques, de son travail, et éclata un jour sous la lumière de l’évidence, à l’occasion d’un voyage en Espagne, qui fut pour lui un chemin de Damas, il y a de cela environ dix ans. Il s’aperçut tout à coup que si les maîtres du passé ont employé, pour exprimer l’idéal, des pro-cédés personnels, cela comporte pour nous deux enseignements bien distincts. Et que s’il est néces-saire d’avoir un idéal, comme eux, il peut être dangereux d’imiter, sous forme de recette, les pro-cédés qu’ils trouvèrent, eux, spontanément. La vie naturelle, la lumière; les choses pittoresques et caractéristiques tlu chemin, la surprise des ren-contres quotidiennes, lui ouvrirent un monde nouveau. Il y eut en lui comme un réveil brusque dans la pleine exaltation du matin, après un long rêve lassant et trop beau. Il se précipita au dehors. Ce fut une prise de possession brusque et fou-259