L’ART ET LES ARTISTES LA MÈRE BRETONNE V.,TEL) tables secrets de leur recherche et le but de leur travail — recherche et idéal commun, — et ainsi un homme, dont le métier est de peindre, se trouvera infiniment plus près d’un autre dont le métier est d’écrire, que d’un de ses confrères proprement dits. Il est difficile de s’entendre exactement sur ce qui définit les artistes. On croit communément pouvoir les reconnaitre à une certaine rareté dans l’adresse technique par exemple, un écrivain qui trouve des timbres inattendus, des alliances de mots iné-dites; un peintre qui surprend par la subtilité de sa vision. C’est un simple abus de langage. De tels hommes sont des artisans raffinés, et il leur arrive souvent de ne pas dépasser en effet l’habileté pour ainsi dire manuelle. Ils y deviennent surpre-nants, mais n’émeuvent pas, et c’est cela précisé-ment, ce don d’émouvoir qui serait leur véritable titre à mériter un nom plus noble. N’est artiste que celui qui sait que, au delà des apparences visuelles ou auditives dont il est l’or-donnateur, il existe un monde tout idéal, un monde de conscience que ces apparences doivent nous suggérer. Si cette suggestion manque à son oeuvre, ou qu’il n’en admette pas lui-même la nécessité, nous pourrons nous rabattre sur les compensations matérielles qu’il nous apportera î perfection de la forme, charme des timbres, etc.; mais nous réserverons le nom d’artiste à celui-là seul qui, déjà doué du don de nous enchanter par de belles apparences, ne perd pas de vue la raison profonde de ces jeux sacrés. La première fois que je vis un tableau de M. Lévy-Dhurmer, je me sentis en présence de l’oeuvre d’un artiste. Et je parle d’une époque où ce peintre délicat était loin d’avoir atteint le calme et la maîtrise qu’il témoigne aujourd’hui. Mettons, si vous voulez, qu’il se trompait de voie. C’était, en effet, le moment de sa carrière que j’appellerais volontiers florentin, la crise de musée. Etape d’ailleurs fertile, témoignant d’un labeur acharné. M. Lévy-Dhurmer produisit alors un nombre considérable d’oeuvres d’une élégance exquise, d’une morbidité infiniment séduisante, d’un charme précieux, appelant comme fatalement le commentaire verbal. C’étaient des portraits de femmes mystérieuses, affectant des allures hiéra-tiques; c’étaient des paysages de rêve, de légende plutôt, où se mouvaient avec une gràce étudiée des personnages que notre érudition reconnaissait au passage. Tout cela dans une lumière délicate, élyséenne même, mais avec les défauts que l’on prête à cette atmosphère surhumaine, c’est-à-dire l’irréalité, la froideur de la vie soustraite aux influence,. de la nature. 253 LE GUITARISTE (PASTEL)