L’ART ET LES ARTISTES LE POiiTE (MARBRE) cherché à donner une impression de solidité, d’unité, de force paisible. Le soubassement carré, le socle carré, forment les deux grands échelons qui conduisent au pilori où est attaché Michel Servet. Le soubassement et le socle avec les personnages qui l’entourent, se détachent donc sur un fond de feuillage sombre, donnant à la sculpture toute sa valeur, la présentant de manière à ce que nos veux en sentent tout le prix, et précisant les attaches puissantes de l’ensemble. Mais au-dessus du socle, Michel Servet, attaché à son pilori, se dresse dans le ciel, et la lumière qui l’enveloppe, qui lui prodigue ses baisers, qui le sature en quel-que façon de sa lente caresse, complète ainsi de son miracle changeant et divers, le symbole de l’histoire. Ces précautions prises avec l’entourage immédiat, cette diplomatie subtile vis-à-vis du paysage et de la cité, ces délicatesses nuancées et respectueuses dans la façon de se faire accepter des vieux ancêtres dont l’àme palpite encore sur la ville, nous semblent choses naturelles, et beaucoup d’entre nous ne pensent pas, sans doute, qu’il y ait lieu de s’émerveiller; mais si, au lieu de considérer les scrupules que les architectes, les sculpteurs et les peintres éprouvaient à soumettre leur jeune oeuvre au contrôle du passé, nous envisageons comment on en use aujourd’hui, partout, et si nous considérons les rues, les jardins de Paris et des villes de France, transformés en nécropoles, nous admirerons à bon droit que Joseph Bernard ait connu des scrupules méconnus de ses contem-porains. Il se rapproche également des maîtres d’autre-fois et montre ce qu’il doit aux mêmes principes, par la manière dont il interprète le sujet choisi. Je n’attache pas une importance exagérée au « sujet » et je continue à penser que le côté littéraire est le côté accessoire des arts plastiques. Mais chercher dans la matière le frémissement d’une sensibilité, l’écho attendri d’une personnalité, n’est-ce pas, en décrivant l’oeuvre, faire le portrait de l’artiste lui-même et ne comprend-on pas mieux cette oeuvre quand on en connaît l’artisan ? Je crois bien, en effet, que le Michel Servet n’a été à Bernard qu’un prétexte facile pour résumer à la fois, en un effort suprême, je n’ai pas dit « le dernier effort », toute la gamme nuancée qui clans son travail de vingt-cinq années va de la tendresse à la violence. Am-pleur, robustesse; énergie, grandes masses, soit : mais dans ces corps de géant bat un coeur féminin. Le symbole qui s’en dégage est un symbole d’amour.Tout cela répète le précepte, que disaient déjà les vierges sages et les vierges folles, les ado-lescents qui espéraient la vie, les penseurs qui en cherchaient le sens, les couples enlacés et dansant et tous les êtres créés par la fantaisie du même artiste: « Aimez-vous les uns les autres. » Voilà ce que proclament Michel Servet, enchaîné à son pilori, et le Remords qui s’enfuit en se cachant la tête de honte, et les jeunes amants assis au matin de leur existence qui la regardent venir avec une tendre sérénité, et la Raison elle-même qui vient s’abattre sur eux, dans un vol éperdu, au-dessus des luttes, des discordes, comme un grand oiseau venu d’un Paradis lointain et radieux. Je ne crois pas que Joseph Bernard se soit égaré dans l’obscure discus-sion du procès de Servet, dans les dossiers de l’or-gueilleux Calvin, dans la philosophie incertaine de ce xve’ siècle qui veut étreindre tant de choses, mais ne retient dans ses bras que des ombres rie fan-tômes. Il a retenu ceci, simplement, qui est de tous les temps. Il ne faut pas attribuer à une idée une valeur absolue; les soi-disant précurseurs sont sou-vent de terribles despotes; ceux qui veulent affran-chir l’humanité commencent par l’asservir; et la libre pensée, c’est ainsi qu’ils nomment leur propre pensée, devient pour ies autres la pensée qui n’est pas libre. L’intolérance de Calvin taons est odieuse, de même que l’intolérance de certains catholiques et des anti-cléricaux; il ne faut pas que l’humanité renouvelle le martyre de Michel Servet, il convient qu’elle applique clans son esprit le principe du