LES DESSINS DE GCETHE voit mieux et témoigne surtout d’une plus grande habileté dans la composition. Les études des modèles anciens ont porté leurs fruits. Comme on pouvait s’y attendre, un certain penchant au romantisme apparaît dans le choix des sujets infini-ment plus variés et plus singuliers que dans les œuvres de jeunesse. Mais ce qui frappe davantage peut-être, c’est une certaine froideur commune à presque tous ces dessins. Ils ne donnent plus l’impression de vie profondément sentie, de fraî-cheur et de simplicité qui charmaient dans les anciens. Il en va d’eux comme des dernières œuvres littéraires : on remarque sans peine que des années de réflexion ont passé sur le grand homme. Et, d’autre part, une tendance s’accentue, ou apparaît, qui ne peut que nuire à l’art pro-prement dit. Nous avons vu que les esquisses que Goethe traçait autrefois n’étaient guère des-tinées qu’à lui-même, de même les dessins actuels. Mais alors que jadis il ne songeait qu’au plaisir qu’il éprouverait à revivre des émotions anciennes, il a en vue maintenant un but déterminé. Il veut, par exemple, illustrer telle ou telle théorie qui l’occupe. Il va même jusqu’à faire de son art l’au-xiliaire de ses recherches scientifiques. Il s’inté-resse aux montagnes, rochers et nuages, dont il fait de nombreux et curieux dessins, moins en artiste qu’en savant qui cherche à préciser et retenir par le dessin les observations qu’il fait. Ce qui le frappe dans la nature c’est moins une forme qu’une formation ou une transfor-mation, moins une couleur qu’une coloration. Sous l’ar-tiste perce le météorologiste ou le géologue. On voit, au total, quelle place les préoccupations artis-tiques ont tenu dans la vie de Goethe. A aucun moment elles ne disparurent complète-ment, à de certains elles passèrent au premier plan. Il est incontestable que Goethe les prit toujours au sérieux. Il travailla avec conscience et Photos Held. Weimar. conviction et parvint beaucoup plus loin qu’un simple amateur. Mais il est incontestable aussi qu’il n’était pas un grand dessinateur. Il le disait lui-même, malgré quelques instants où il parait avoir eu une opinion différente. Il ne fit lamais preuve de personnalité. Il imite beaucoup et subit les influences les plus variées. On ne peut même pas parler pour lui de l’évolution d’un artiste, qui tâtonnant au début de sa carrière, se dégage de l’imitation d’autrui, se développe et finit par trouver sa voie. Goethe change souvent mais ne s’affirme pas. Et à considérer ses oeuvres, presque toutes ont un grand charme, aucune ne satisfait pleinement. Est-ce à dire comme le soutiennent certains critiques que Goethe eût nairas fait de consacrer tout son temps à la poésie? Nous ne le pensons pas. Car, tout d’abord, comment ses occupations artis-tiques auraient-elles fait tort à sa poésie, puis-qu’elles suivent de si près la marche de ses con-ceptions artistiques à chaque moment de sa carrière? Nous le voyons faire du paysage quand sa poésie vit en pleine nature, copier des ruines antiques quand sa poésie devient classique, étudier les nuages le crayon ou la plume à la main quand il s’en occupe comme savant. Le dessin et la peinture loin donc d’avoir entravé sa marche, l’ont bien plutôt accompagnée et sou-tenue. Et comment méconnaître les grands avantages qu’il leur doit ? Il ne fait aucun doute que, grâce à ses études, il a aimé la nature bien plus profondé-ment, l’a regardée avec beau-coup plus de soin, et repro-duite avec bien plus de fidélité qu’il ne l’eût fait sans elles. C’est à elles que nous devons les si belles descriptions de la nature qui nous enchantent dans sa poésie. C’est pour avoir essayé de dessiner et de pein-dre qu’il fut un si merveilleux peintre avec des mots. GASTON RAPHAkL. /frima., 20 semonbre 191,. PAYSAGE PRÉSUNIE DES BORDS DE LA SAALE 79