L’ART ET LES ARTISTES LE MAITRE DE MOULINS — TRIPTYQUE (PANTIF: cexanere) jointes— et quelles mains expressives, quel savant raccourci ! — portant sur ses genoux le cadavre rigide, brisé, et comme cassé dans l’inertie de sa matière morte, de son divin fils. A gauche, saint Jean prend avec précaution la pauvre tète encore douloureuse pour en retirer doucement, avec des soins de femme, la couronne d’épines; à droite, Madeleine, agenouillée, ses cheveux roux pendants sur ses épaules, sots pot d’onguent à la main, essuie, du revers de son manteau de pourpre, ses yeux qui semblent ne plus pouvoir pleurer. A gauche, au-dessous d’une silhouette de ville, le donateur, agenouillé, les yeux perdus dans la prière, les mains jointes, dans sols large surplis blanc, singulière figure aux traits brusques animée d’une étrange vie. C’est d’un art encore inconnu, d’une impression inattendue de pathétique et d’une sinsplicité, d’une force expressive, d’une puissance de modelés dans la lumière qui égale cette pein-ture aux plus émouvants chefs-d’oeuvre. Les déplorables circonstances politiques qui firent émigrer la royauté vers les régions de 62 Bourges ou de Tours, entrainèrent le courant artistique de la capitale vers ces milieux provinciaux et créèrent deux autres foyers actifs, l’un sur les bords de la Loire, l’autre dans les provinces plus cen-trales, entre Lyon et Moulins. L’école de la Loire comprend une personnalité exceptionnelle dont l’importance s’est accrue en ces derniers temps, par une con-naissance plus approfondie de son œuvre. C’est celle de Jean Fouquet. Malheureusement, on ne peut pas dire qu’on ait beaucoup de préci-sions sur la biographie de ce maître. On sait qu’il naquit à Tours vers 142o, qu’il séjourna quelque temps en Italie, en tout cas sous le pontificat d’Eugène IV (11.43- 1447), de qui il exécuta le portrait, et qu’il revint s’installer dans sa ville natale. Il était peintre en titre de Charles VII et de Louis XI, s’occupant de tout ce qui ressortis-sait alors à l’art du peintre et diri-geant un atelier important où tra-vaillaient ses deux fils. Et il est mort vers 1480. Son œuvre comprend une oeuvre de peinture proprement dite et une œuvre de miniature. Sur ce pre-mier point, on connaît peu de monuments authentiques qui aient résisté au temps ; il n’y a guère que cinq tableaux qu’on puisse lui attribuer avec certitude. Ce sont tous des portraits au Louvre, celui de Charles VII, à la fenêtre de son oratoire, le chapeau sur la tète, le visage, qui dût être d’une vérité frappante, tant il dépeint la lassitude et la mélancolie de ce roi malheureux et désabusé; celui de Guillaume Juvénal des Ursins, chancelier des rois Charles VII et Louis XI, dans sa robe rouge à fourrures, sur le riche fond d’or de son intérieur à l’italienne, l’escarcelle brodée à la ceinture, figure lourde, grave et puissante d’opulent ministre et de financier; puis deux volets d’un diptyque, dont l’un est au musée d’Anvers, la Vierge et l’Enfant Jésus, la Vierge, qui n’est autre que le portrait, authentifié, de la célèbre Agnès Sorel, maîtresse du roi, qui fut la protectrice et l’amie de l’autre personnage, kiiienne Chevalier, chancelier du roi, agenouillé près de son patron saint Etienne panneau qui appartient au musée de Berlin. Il faut y joindre une tète de jeune homme, aux exquis modelés, qu’on a cru,