L’ART ET LES ARTISTES humaine, ou ce qu’il est capable d’en imaginer des bijoux, des tapisseries, des orfèvreries, des nielles, des céramiques, des monuments, des soies changeantes. Il étend la main sur des cités entières, sur les dômes, sur les campaniles, sur les ponts courbes, sur les palais aux terrasses étagées, sur les gopuras dentelées, et, au delà, sur les chaînes de montagnes ; il referme sur tout cela ses cinq doigts et le mêlant, à sa guise, en com-pose un collier, un diadème ou tout autre parure à sa figure principale. On y retrouve mal, ou pas du tout, l’aspect probable de la vérité qu’encadre l’image ou du poèmequ’elle « illustre », mais quoi ! L’imagier ne s’est engagé à rien. Il ne prétend rien. L’histoire, qui est dans le livre, n’est pas du tout un monument qu’il ait la pré-tention de reproduire, mais un abri où il demande la permission de se jouer et se gaudir à son aise. Le texte est un prétexte. Que les hommes graves,qui veulent des enchaînements logiques et des aspects de vérité lisent la page : quelques âmes légères et fantaisistes s’arrêteront aux images et en aimeront l’imagier. • A ce signalement, on a reconnu les enlumineurs de missels, de « très riches Heures» et d’ « histoires » variées qui ont enchanté les yeux des châtelaines, aux longues heures de soli-tude, dans les manoirs du Moyen âge, derrière les vitraux maillés de plomb tandis que le nain faisait des bouffonneries dans un coin et que le page s’essayait à quelque air de viole. Mais on pourrait y reconnaître, aussi, plus d’un grand maître, en ses retables d’autel ou en ses fresques décoratives. Car le goût de la chose pittoresque, du détail amu-sant, de l’aspect imprévu et comique, de la richesse décorative de l’ «image », en un mot, n’est pas seulement au Moyen âge et au siècle même, un goût d’enlumineur. C’est une pente naturelle de l’esprit, chez tout le monde et chez l’homme de génie comme chez son voisin. Un sujet est donné ; il le traite, c’est entendu, au moins dans ses grandes lignes, c’est-à-dire que si c’est une Nativité, il y aura, une jeune femme, un enfant, un vieillard, un âne, un bœuf et une étable, mais une fois ce thème réservé, et autour de ce noyau de vérité ou de tradition, quelle pulpe de fantaisie et de nouveauté, quel cycle de curiosités pitto-resques, quelles richesses, quelles gamineries ! Voyez-vous sauter dans les gazons de Bethléem ces petits lapins, courir ces chevreuils sous la futaie, évoluer sur le vieux mur cuit par le soleil ces lézards, gambader ces singes sur le dos des chameaux ? Qu’ont-ils à faire avec l’Enfant Jésus, sinon le divertir ou, plus sûrement, divertir les fidè-les? Dénombrez toutes les espèces botaniques semées au premier plan : vous en trouverez parfois plus de vingt. Examinez toutes ces parures et ces ciboires ou ces monstrances que mon-trent les Rois mages avec les gestes d’un antiquaire qui veut tenter l’acheteur. Visitez les villes étagées à l’horizon et les phénomènes géologiques échelonnés sur la route; interrogez, enfin, sur leurs costumes, leurs justaucorps, leurs hauts-de-chausses, leurs barrettes, ces élégants gentilshommes groupés autour de la Crè-che vous apprendrez mille choses amusantes sur l’or-fèvrerie, sur l’architecture, sur les modes ombriennes ou florentines. Parfois,vous reconnaîtrez la toilette qu’on portait aux noces d’Adimeri ou au mariage de Giovanna Tornabuoni. Mais de rapport entre tout cela et le grand Mystère de la Nativité, n’en cherchez point. L’artiste n’a pas plus songé à peindre expressément une scène historique ou religieuse qu’à peindre expressément et uniquement une scène de mœurs contemporai-nes il s’est diverti à faire une belle image. Tels furent les imagiers d’autrefois. Tel est Massa. Ce jeune artiste arrive de Nice, où il a passé toute sa vie, avec une riche collection d’enlu-minures, d’après tous les sujets du monde, les plus communs, les plus usés qui soient. Ce sont des visions singulières, compliquées, toujours inatten-dues, parfois âpres et douloureuses, infiniment captivantes, qui fixent immédiatement l’attention. AMUIES or evu (AQUARELLE) 258