L’ART DÉCORAT’W LE LIVRE E n’ai pas l’intention, rassurez-vous, d’écrire ici j en quelques pages le résumé de ce qui tiendrait fort bien en quelques volumes; mais, ayant re-gardé, à gauche et à droite, à l’étalage des libraires, aux vitrines des salons, salonnets et expositions, interrogé des libraires, des imprimeurs, des fabri-cants de papier, de vous suggérer quelques ré-flexions sur l’état actuel du livre. Bien entendu, je ne parlerai pas du texte qu’un livre est censé contenir ; des images qui suppléent souvent à l’indigence des proses qui les entourent; mais plutôt de la présentation matérielle et esthétique du livre. Car c’est mie loi qu’on méconnaît le plus souvent : le livre, en lui-même, est un objet d’art. Il a une forme et une ornementation. Sa forme est établie par les trois dimensions hauteur, largeur, épaisseur; elle en dépend ; la proportion de ces trois mesures fait l’harmonie d’un livre, à première vue. Or, depuis quelques années, il nie semble qu’on a complètement perdu ce sens de la proportion. Nous voyons couramment, en librai-rie, des livres que je ne veux pas nommer, mais que chacun de mes lecteurs désignera parfaitement, qui sont des mastodontes. On a cru que pour é faire Grand n, il fallait faire colossal. Et de cette erreur il e‘ st résulté un certain nombre de volumes, dont la librairie moderne s’enorgueillit bien à tort, et que nous ne pouvons lire qu’a plat-ventre, en nous couchant à terre consiste des Orientaux. Ces vo-lumes ne se résignent à aucun prix à entrer dans les rayons d’une bibliothèque. On m’objectera, sans doute, dans le passé, les anti-phonaires? Mais les antiphonaires, aux belles lettres gothiques, étaient-ils aussi gros que certains massifs livresques de nos jours, et d’ailleurs ne restaient-ils pas ouverts, en permanence, sur un beau lutrin en forme d’aigle, sous la clarté douce des lampadaires à huile. Ils correspondaient à la nécessité, pour le prêtre, de lire à une certaine distance les prières du rituel. On a, d’autre part, dans la moyenne, adopté des formats carrés, plus hauts ou plus petits que les formats habituels, qui sont en dehors des formats reçus, et je connais des bibliophiles au désespoir de ranger dans leurs bibliothèques ces livres nouveaux qui ne correspondent en aucune manière aux proportions généralement admises par les ébénistes. Enfin, on a imaginé, depuis quelques années déjà, une série de collections de romans modernes où, pour des raisons économiques sans doute, la hauteur et la largeur sont infiniment supérieures à l’épaisseur, où le volume enfin ressemble à un magazine plutôt qu’à un livre, et s’affale sans aucune dignité sur les cavons. D’une manière générale, je souhaite vivement que l’on en revienne aux petits formats commodes du xvim siècle, parfaitement proportionnés et très économiques, car c’est une erreur de croire qu’au-trefois les livres coûtaient cher il me semble qu’une bonne interprétation de ces anciens for-mats a été réalisée— pourquoi ne pas la nommer? – par la librairie Nelson. Pour ce qui est des grands formats, j’entends bien que la nécessité de repro-duire, d’une manière convenable, des oeuvres d’art, a pu entraîner les éditeurs de livres sur l’art, à des proportions excessives ; cependant les anciens libraires n’avaient-ils pas résolu la difficulté et m’est-il besoin de citer L’Archilecture Française, de Blondel; et d’ailleurs n’est-il pas absolument né-cessaire de rendre chaque volume d’un maniement aisé, à moins de l’abandonner à la poussière des réduits obscurs. De même, et c’est là une proportion plus diffi-cile encore à obtenir, les caractères d’imprimerie ne sont pas souvent en rapport avec le format du livre, et la justification est mal établie. Là encore, on se trouve en présence d’une difficulté d’ordre économique. Pour abaisser le prix du volume il a fallu tirer rapidement à un plus grand nombre d’exemplaires et économiser le papier, on a donc agrandi le format dans le sens de la hauteur et partagé la page en deux colonnes ou trois, ce qui 272