L ‘ART ET LES ARTISTES c’est bien Thys Maris, dont les œuvres pénétrées d’un sentiment, d’une extrême délicatesse, tendre-ment caressées avec le pinceau, ne donnent jamais la couleur, mais rien que les tons en des colora-tions atténuées, dans une gamme argentine, déli-cieusement mineure, d’une subtilité précise et exquise. Ayant toujours vécu avec une simplicité mona-cale, entièrement absorbé par son art, l’homme est d’une modestie incroyable. Ayant, il y a une vingtaine d’années, entrepris de traduire, de para-phraser à l’eau-forte le Semeur, de Millet, il a fait mordre un petit nombre de cuivres, en guise d’é-tudes du procédé. Par hasard, ces e petits essais », ainsi que Maris nomme ces estampes, sont devenus des merveilles infiniment précieuses. Puis vint la grande planche, admirable interprétation d’un chef-d’oeuvre par un artiste aussi aimant et pro-fond que le peintre lui-même. Jamais pareille collaboration, seulement compa-rable à Baudelaire traduisant Edgar Poe, ne s’est vue dans les arts plastiques, et le résultat en est et en demeurera superbe! Pour terminer cet aperçu je citerai quelques lignes que IVIatthys Maris m’écrivit un jour, et qui définissent l’ensemble de sa conception mieux que personne ne saurait le faire. Il parle d’un peintre anglais, excellent homme, qui, lorsque Maris lui faisait quelque observation, répondait invariablement : a Je l’ai fait d’après nature! » Et Maris continue en disant que la plupart des critiques et des peintres croient que rendre la nature c’est tout, tandis qu’un véritable artiste a sa vision intérieure, de sorte que la nature n’est pas la chose essentielle, niais seulement le mayen pour exprimer des émotions personnelles. Et il analyse longuement le Semoir de Millet dont il connaît une petite esquisse. Maris ajoute que la nature n’a rien à faire avec l’oeuvre achevée et complète, que ce chef-d’oeuvre est Millet tout entier, que le peintre a exclusivement suivi sa propre nature, a seulement exprimé sa conception individuelle. Tout ceci démontre comment, pour IMatthys Maris, la nature, éternellement ondoyante et chan-geante, n’est qu’une source d’inspiration, une source de fraîcheur et de vie inépuisable, un » dic-tionnaire » comme le disait, je crois, Eugène De-lacroix, d’une richesse inouie, dans lequel tout artiste digne de ce nom, puise, tout en la subju-guant, en la soumettant à sa vision individuelle de la Beauté. PII. ZILCKEN. LE CHATEAU ENCHANTE (1882) (REPRODUCTION D’APRES UNE EAU-FORTE DE PH. 271