L’ART El: LES ARTISTES sensuelle, mais bouleversée par la passion. Agos-tino Chigi, le banquier des papes, lui demanda, pour la Farnésine qu’il venait de faire construire, de peindre à fresque une sorte de réplique d’un tableau d’Aétion, dont Lucien, dans un de ses dia-logues, a laissé une description détaillée, les Noces d’Alexandre et de Roxane. Rien de moins antique que cette scène grecque. Les peintres de la Renais-sance n’avaient heureusement point le sens de l’his-toire; ils sentaient par eux-mêmes trop violemment pour consentir à endiguer leur émotion dans des reconstitutions savantes. Alexandre, accom-pagné d’Héphestion et d’Hyménée, s’approche de Roxane et lui tend une couronne. La jeune femme est assise à demi-nue sur le lit nuptial; les servantes s’éloignent; des amollis achèvent de la dévêtir complètement; d’autres volètent dans la grande salle luxueuse. Les yeux baissés, appuyée d’une main sur le lit, Rosaire défaille de désir et de crainte. Jamais artiste peut-être ne sut rendre avec cette réserve délicate et cette force le frémissement d’un beau corps éperdu, l’égarement d’une vierge tout entière possédée par le baiser qu’elle va laisser prendre. * * * Faut-il s’étonner que ce peintre de la volupté ne se soit pas montré bien enthousiaste pour dessi-ner toutes les Madones, les Enfants Jésus, les petits saints Jean, tous ces tableaux d’autel que la mode et la religion réclamaient alors. Les galeries d’Italie, d’Angleterre et d’Allemagne possèdent nombre de ces oeuvres secondaires où le Sodoma ne s’est jamais donné complètement. Elles ne sont pas à dédaigner sans doute; elles ont de la tendresse, de la grâce, un peu de ce charme de Sienne qui devint pour le maitre une seconde patrie. D’autre part, outre ce manque de sentiment profond et inspiré, qui fait les grands chefs-d’oeuvre, elles souffrent pour la plupart d’un grand défaut dont le Sodoma ne sut jamais s’affranchir. Au temps de Bellini et de Giorgione, il ne parvint jamais complètement à se rendre maître du procédé à l’huile; ce fresquiste étonnant, si plein de brio, de verve, d’envolée, deve-nait froid et dur aussitôt qu’il se trouvait devant un chevalet : couleurs a enflammées », comme le lui reprochait déjà Vasari, et mal harmonisées, clair-obscur maladroit, lumière terne et monotone, et quelque chose de figé et de mort dans la technique comme dans l’expression, lui dont la main, quand elle tenait un crayon ou qu’elle peignait à grands traits sur la muraille encore fraîche, était souple, vive, habile, capable de tout dire en se jouant. Les bons tableaux du Sodoma sans doute ne manquent point; deux seuls peut-être satisfont pleinement, la Madone de la chapelle du Palais public de Sienne et le merveilleux Soin/ Sébastien des Offices. Vasari, qui détestait le Sodoma et qui n’oublia jamais une occasion d’en médire, disait que son pinceau t, ballava second() il suono de’ denari dansait au son de l’argent. C’est une manière un peu vulgaire d’expliquer l’inégalité surprenante de cé grand maitre. A côté de quelques créations qui compteur parmi les plus hiatus chefs-d’oeuvre d’Italie, il fit nombre de peintures sinon médiocres, du moins d’ordre secondaire. L’esprit de mercan-tilisme seul ne suffit point à produire de telles différences; le Sodoma travailla souvent, il est vrai, sans amour, parce qu’il faut vivre; nuis quand un sujet faisait vibrer en lui les cordes profondes de sa sensibilité, ses dons prodigieux, son fougueux génie d’improvisateur s’éveillaient et le possédaient avec trop de force pour qu’il songeât à autre chose qu’à s’exprimer. Des documents nous ont été conserves d’ailleurs, qui prouvent l’esprit de déni-grement systématique de Vasari : les trente fresques de Monte-Oliveto-Maggiore ont toutes, sauf mue, été payées du même prix au jeune peintre, sept ducats quelques-unes cependant sont des chefs-d’œuvre ; d’autres n’arrivent pas au-delà de la grâce et du charme. On en peut dire autant des fresques de San Bernadino. Pour le Saint Sébastien des Offices, il fut exécuté pour un prix minime; quand il fut livré, la confraternité qui l’avait commandé, émerveillée, doubla la somme qu’elle avait pourtant pris le soin de fixer par contrat. Pauvre e cavalière Sodoma n ! un surnom inconvenant et immérité, un caractère bizarre, la haine surtout et les calom-nies de ce médiocre que fut Vasari, lui ont valu une réputation artistique et morale que la critique mieux informée aura bien de la peine à renverser. .** Il faut, dans la vie du peintre, faire une place à part aux années 1525 et 1526. Ce sont les dates de ses deux créations les plus puissantes, le Saint Sébastien dont nous venons de parler et les fresques de la chapelle Sainte Catherine, à S. Dome-nico de Sienne. Ce Saint Sébastien servait autrefois de bannière; aux jours de procession, on le portait par la ville et les Siennoises admiraient ce beau corps aux chairs délicates et presque féminines, ces grands veux noyés de larmes; elles s’apitoyaient devant cette faiblesse si peu virile qui nous laisse aujour-d’hui décontenancés. Ce soldat romain, martyrisé pour sa foi, est devenu un trop bel éphèbe qui ne sait pas souffrir. Il n’a pas l’âme bien forte. C’est un frère d’Eve et de Rosaire, fait pour jouir et 210