L’ART ET LES ARTISTES remit les choses au point, apporta uns peu de clarté dans sa biographie, donna l’histoire précise de nombre de ses œuvres. Puis elle commit une erreur nouvelle infiniment plus grave que celles qu’elle avait corrigées et dont les conséquences se feront sentir encore longtemps sans aucun document, sans aucun texte qui l’y autorisent, elle déclara le Sodoma élève du Vinci. A l’appui de son hypo-thèse, elle indiqua plusieurs tableaux où l’influence léonardesque est effectivement sensible, mais qui diffèrent si profondément de l’oeuvre authentique du peintre piémontais qu’on peut fortement douter qu’ils soient de la main du maître. La Madone de Brera est le prototype de ces attributions risquées. Et il y a là, en vérité, plus qu’une vaine question de critique érudite. Cette tendance à faire du So-doma uns disciple du Vinci a conduit à méconnaître son caractère propre et son originalité: ses qualités d’improvisateur, son dessins large, rapide, parfois incorrect, mais toujours étonnamment chaud, souple et vivant, son humeur facile, sa tendresse voluptueuse et caressante sont bien le contraire même de la technique réfléchie et savante, de la psychologie pénétrante, de la volupté intellectuelle du grand Florentin. Giovan-Antonio Bazzi naquit à Verceil, en 1477. A l’âge de treize ans, son père, cordonnier de son état, le mit en apprentissage chez un peintre de Casale-Monferrato, Martino Spanz.otti, depuis peu établi à Verceil; pauvre peintre qui suivait lente-ment et de loin les progrès que réalisaient alors les grandes écoles italiennes, tout enserré encore de formules quattrocentistes, quand Léonard, à quelques liesses de lui, renouvelait l’école milanaise en lui enseignant les principes d’un art complet. Giovan-Antonio subit sept ans la discipline de ce maître médiocre, puis vint à Sienne vers 1501, sans bien connaître encore son métier, tuais plein d’ardeur, d’enthousiasme, de pensées prêtes à éclore. C’était un joyeux compagnon. Il fut fêté. On le chargea très vite de travaux importants, la décora-tion du réfectoire du couvent de S. Anna in Creta et du cloître du couvent de Monte-Oliveto-Mag-giore, sur le territoire même de la république de Sienne. Il y fut occupé jusqu’en 15o8. Giovan-Antonio chercha uns théâtre plus vaste et partit pour Roule où il subit un échec éclatant; Jules II lui enleva brusquement les travaux dont il l’avait chargé au Vatican pour les donner à Raphaël. Giovan-Antonio peignit à la Farnésine ses délicieuses Noces d’Alexandre et de Roxane et s’en revint à Sienne. La vie recommença à lui être sou-riante. Comme tant d’autres peintres de son temps, il devint un grand seigneur des arts, riche, adulé, ami des prélats et des princes, passionné de che-vaux et de courses. Les Siennois, qui l’avaient longtemps surnommé le Mattaccio le grand fou commencèrent, vers 1513, à ne plus l’appeler que du nom très probablement immérité de Sodo-ma; vers la même époque, le pape Léon X le fit chevalier, et le fils du cordonnier rie Verceil ne fut bientôt plus désigné que sous cette appellation étrange, d’une contradictions et d’un scepticisme moral bien italiens il cavalier? Sodoma. Le récit de Vasari et les documents d’archives qui nous ont été conservés ne donnent guère sur le peintre d’autres renseignements ou du moins ne servent-ils qu’à dater quelques-unes de ses œuvres les plus importantes et à préciser l’époque de plusieurs voyages qu’il fit à Florence, à Ferrare, à Mantoue, à Piombino et à Pise, où, vieilli et déchu, il peignit ses derniers tableaux, de 1540 à 1543, peu d’années avant de mourir. Un surnom déconcertant, quelques ‘i blagues retentissantes, tels sont donc les seuls souvenirs écrits qui nous soient parvenus sur le peintre. C’est ailleurs qu’il faut chercher si nous voulons péné-trer son être intime. J’ai parlé ici même (s) d’une des créations les plus importantes du Sodoma, les trente fresques illustrant la vie de saint Benoît qui ornent le grand cloître de Monte-Oliveto-Maggiore; en essayant de faire sentir leur charme, leur poésie ingénue, leur tendresse caressante, j’ai relevé l’intérêt parti-culier et considérable qu’elles offrent à l’historien : durant les trois années que le Sodoma passa dans la maison-mère des moines olivetains, il changea insensiblement sa manière, et, venu avec des con-ceptions, des procédés, des ignorances même pure-ment quattrocentistes, il passa lentement et pro-gressivement aux idées plus vastes, à la technique plus complète et plus savante des peintres du xvI’ siècle. La Danse des Coarlisanes, la première fresque qu’il exécuta au couvent – des documents précis en fixent la date, 1505 — se rattache inti-mement à ce que son vieux maître, Martino Span-zotti, lui avait enseigné à Verceil, tandis que la dernière, la Des-traction du Monl-Cassin, présente tous les caractères de la conception artistique défi-nitive du Sodoma. Grave objection à ceux qui veulent faire du peintre piémontais uns élève du Vinci tout le monde admet maintenant que ses premières œuvres ne décèlent aucune influence léonardesque, et c’est loin de tout centre d’art, 214 (1) Voir k dr de L’A, les Artistes. octobr, 19o8.