Le Mois Artistique LES SALONS DE 1911 LORSQU’U%E époque manque du sentiment mys-tique, tique, l’art perd sa suprême raison d’être et comme sa source vive. Son existence, dans la civi-lisation, qu’il embellit, a quelque chose de séparé et de gratuit dont ceux qui le cultivent comme ceux qui le goûtent ressentent péniblement la présence. Comme il n’est plus l’expression d’un idéal com-mun à un groupe d’hommes, il devient parti-culier, et l’individualisme s’en empare. Aujour-d’hui, toute tentative d’art est individuelle, elle a beau essayer de se référer à quelques grandes idées chères aux foules, elle n’atteint, lorsqu’elle vise ainsi le général, qu’à une sorte ‘de symbolisme facile qui tombe vite dans l’allégorie oflicielle. Il vaut encore mieux risquer de rencontrer une confession vraiment personnelle. Par malheur, il est peu de ces aveux, et sans doute à cause de la facilité qui leur est offerte. La majorité des peintres, pour ne parler que d’eux, se rejette sur l’anecdote. Elle l’enjolive, la masque de mille façons, mais c’est toujours une anecdote. Les trouvailles techniques, le charme de la cou-leur, les alliances de tons rares ou précieux, les petits-bonheurs de la composition, autant de parures destinées à donner le change et dont la plupart des critiques se contentent. D’ailleurs, il leur serait bien difficile de faire autrement. L’anecdote en effet, très subtile, ne se glisse pas que dans la peinture de genre ou dans celle d’his-toire : elle est partout. Il y a des groupements de fruits et de fleurs qui sont des anecdotes, et cer-taines manières de brosser un panneau décoratif en font également une anecdote. Tel portrait, oh la psychologie complètement absente est rempla-cée par un faire plus ou moins habile et a à effet », constitue une anecdote physionomique. Quant au nu lui-même, qui devrait, par sa nature même, garder toujours la chasteté de l’abstraction, l’in-nocence du symbole éternel de tout rêve et de toute pensée, il devient, sous les arrangements malhabiles d’artistes sans idée, la plus banale figure de l’anecdote : mythologique, ou bourgeoise, ou grivoise, ou sotte. Je ne parle pas du paysage qui, lui, reste, à ce point de vue, une tentation inévitable. En effet, ici la composition étant la plus périlleuse des opérations, on préfère s’en tenir à l’exactitude, niais un paysage simplement exact n’est plus qu’une photographie en couleurs, c’est-à-dire la plus mesquine et la plus morte des anec-dotes. On conçoit que, dans ces conditions — et ce sont celles qui sont faites à l’art contemporain jusqu’à ce que quelque nouvel idéal ait remplacé ceux qu’il n’a plus — la rencontre d’un véritable chef-d’oeuvre soit chose extrêmement rare. On trouve en considérables quantités (les oeuvres auxquelles peuvent s’intéresser notre intelligence, ou notre sensibilité optique, ou notre goût, presque aucune qui nous émeuve. Il y en a peut-être moins encore aux Salons que partout ailleurs, car la hâte avec laquelle les exposants ont travaillé en vue d’y être prêts et le considérable amas d’objets qui y sollicite notre attention fatiguée contribuent à donner à ces vastes galeries l’aspect d’une sorte de foire, oh seule la curiosité ne perd pas ses droits. 119