vénitien, et non la patine noirâtre, recuite et croustillante des tableaux de 1B3o. Le noble souci d’un tech-nicien probe, contrastant avec la fabrication hâtive des bouilleurs d’ébauches, atteste que, seuls, les tableaux bien peints, où les valeurs sont justes, vieillissent bien. Félix Borchardt, en 190o, se fixe définitivement à Paris. N’entendez point par là que ce fidèle de nos salonnets et de nos Salons d’au-tomne et de printemps va parisian-niser son talent et perdre ses mérites fonciers. Il s’établit chez nous, parce que Paris, qu’on le veuille ou non, est le centre et le foyer de l’art et de la culture esthétique. Mais Borchardt n’est pas et ne sera jamais un « déraciné ». Il a complété chez nous son instruction, mais garde l’autour du sol où il naquit. D’ail-leurs, s’il expose parmi nos artistes, à qui plaît, dès l’abord, sa franchise, mais qui ne lui feront néanmoins sa place que peu à peu — car il faut toujours, hélas, conquérir de haute lutte le rang qu’on a droit d’occuper — il va chaque année se retremper, durant de longs mois, parmi les sites chers à son cœur. Il n’abdiquera jamais ; les mièvre-ries, les grâces nuancées, la subtilité quintessenciée, ne seront point son fait. Et c’est cette attitude cou-rageuse qui suscitera des résistances parfaitement explicables, chez sus compatriotes à la fois et chez les nôtres. On lui reprochera injustement outre-Rhin et sur les bords de — nul n’est pro-phète en son pays — d’avoir trop sacrifié aux divinités de France. Et diverses personnes, ici, accoutumées aux analyses super-sensibles, s’éton-neront à sa mâle rudesse, qu’elles traiteront de massivité, de brutalité âpre et crue. Patient et opi-niâtre, il triomphera de la double et inique oppo-sition. A l’heure actuelle, les meilleurs de l’un et l’autre pays peuvent le revendiquer. Borchardt mérite le compliment sincère que lui a décoché Ratraelli : 9 Vous étiez brutal… vous êtes fort ». Le voici, à force de luttes—contre les hommes, rebelles à tout apport novateur, contre les élé-ments aussi, car il faut violenter la nature pour la jeter, palpitante, sur la toile — arrivé à une for-mule neuve, hardie, d’une singulière plénitude. FÉLIN. BORCHARDT Phot, 11,;(el 115 PORTRAIT DE MADAME Il s’enhardit davantage. Avec la Darne an Chape. bleu, la Promenade, la Dame en blanc, il ose peindre les reflets bleus qui passent et jouent sur le visage d’un modèle campé debout dans un parc, dans une prairie. Il se classe parmi les Roll, les Claus, les Henri Martin, pleinairistes convaincus qui triom-phent des pires difficultés du métier de peintre. Autre chose, en effet, est d’adosser son personnage à des fonds d’ateliers brunâtres, opaques et incon-sistants, sous la lumière a quarante-cinq degrés du vitrage, autre chose de les installer sous l’éclairage des champs et du ciel, où tout s’enveloppe et se baigne — et se diversifie aussi à chaque instant. Entre temps, car Borchardt n’est pas le routinier d’une formule, si intéressante soit-elle — mais évolue et traduit sans lassitude ce qui s’offre à sa rétine montagnes, océans, les créatures, les aspects et les objets — il accumule les études, marines glauques et violettes, flamboyantes des feus du couchant ou grises sous un dramatique ciel d’orage, maisons, bouquets d’arbres, mondaines ou pay-sannes.