ment, il semble que le flambeau vénitien ne veuille pas mourir sans avoir jeté une lueur suprême. lin grand artiste apparaît, Giovanni Battista Tiepolo(1696-1770). Il est le Véronèse de Venise expirante, il a du grand maître l’a-bondance, l’invention aisée, la hardiesse ar-chitecturale, la scien-ce, le caprice et aussi l’impiété. Tiepolo n’a pas la puissance de l’homme dont l’étude l’a enthousiasmé, mais il va plus loin que lui dans la grâce, et, par un singulier retour des inspira-tions, c’est à la fres-que du xiv’ siècle qu’il demande de nouveau le secret des colorations très claires, transparentes et nacrées, délaissant les tonalités ambrées et parfois sombres en leur har-monie de tapis d’Orient, des grands Vénitiens du xvi`• siècle. Tiepolo pousse l’amour du trompe-l’oeil jusqu’à l’excessif illusionnisme des décorateurs de théâtre, et, à la vérité, il est le génie de la décoration d’opéra. Venise, et toute l’Italie septen-trionale sont remplies des créations aimables de ce maitre : c’est le Chéret féerique de l’école véni-tienne, et il touche même à la peinture religieuse, avec une joyeuse inconscience, dont, à l’église de Scalzi, un exemple endiablé reste célèbre l’enlè-vement, par les anges, de la Maison de la Vierge, à Larda, est un des morceaux de peintures les plus étourdissants qu’on puisse voir, et aussi le type du sans-gêne naïf d’un esprit concevant la mysticité chrétienne comme un ballet ! Mais il faut admirer l’exquise couleur, la grâce et la science de ce somptueux précurseur des impressionnistes, de cet héritier, en somme, des grands virtuoses de sa patrie. Après, c’est la fin. Deux artistes se bornent à reproduire minutieusement, en de petits tableaux d’un faire savant et charmant, mais froid, les aspects de Venise. Ce sont Antonio Costale dit Canaletto (1697-1768) et sots neveu, Bernard° Belotto, dit aussi Cavale ou Canaletto. Il y a en L’ART ET LES ARTISTES Piaf. Toua. F piETRo LONGHI JEUNES PATRICIENS A CHEVAL (DÉTAIL) Il usée r. eux un peu des mé-rites du vieux Car-paccio, la sûreté de ses architectures, sa couleur chaleureuse. Ils travaillent d’ail-leurs à Rome, à Lon-dres, à Dresde, à Vienne, alitant et plus qu’à Venise, et ils finissent par fabri-quer leurs vues de Venise avec des pro-cédés invariables. Les eaux-fortes d’Antonio Cavale sur sa ville sont peut-être plus intéressantes que ses peintures. Les toiles analogues de Fran-cesco Guardi (171a-1797) sont, au con-traire, d’un précieux petit maître, beau-coup plus libre, plus sincère, plus vivant, faisant penser aux belles notations de Bonington. Guardi est aussi un intéressant des-cripteur de la vie intime de Venise. Il rivalise, sur ce point, avec les Longhi (Pietro, 17o2-1785, Alessandro, 1738-1783), qui décrivent les scènes de salons, danses, goûters, bals masqués, musiques de chambre, avec une verve et une précision com-parables à celles de nos Saint-Aubin et de nos Moreau le Jeune. Guardi et les Longlii sont les illustrateurs élégants des fastes d’une société raf-finée qui se meurt avec grâce. Quatre ans après la mort de Guardi, Manin abdiquera, dernier doge les troupes de Baraguay-d’Hilliers, envoyées par Bonaparte, s’empareront de Venise pour la première fois. C’en sera fait de la Sérénissime République. Encore le sursaut de 1848, noble élan vite brisé par les cations de Radetzky, et Venise ne sera plus que la ruine orgueilleuse et mystérieuse que nous admirons, la grande courtisane fardée et embaumée, endormie dans ses crépuscules fiévreux et magiques. Elle n’aura plus de vie que pour rappeler au monde sa grandeur passée, redire ce que trois cents années de richesse, de volupté et de délirante fierté auront mis de gloire sur son front couronné. 112 (A suivre.) CAMILLE MAUCLAIR.