moyen d’expression des spiritualistes; il lui fallait le tableau et la peinture à l’huile, et elle n’est entrée sur la scène du monde pic-tural qu’après l’appa-rition de cette forme et de ce procédé. De là, l’indépen-dance absolue de ses artistes, étrangers à la longue tradition giot-tesque, leur réalisme inspiré de l’Allemagne et des Flandres, le brusque épanouisse-ment de leur sensua-lisme éclatant, puis-qu’ils ne parurent qu’à une époque où déjà le dogmatisme religieux cédait sous la pression de l’huma n isme. Parler des Primitifs de Venise, c’est donc prendre ce terme en une accep-tion toute différente de celle que nous avons admise en étudiant la ‘Toscane ou l’Ombrie. Attendre jusqu’au début du siècle pour signa-ler les premiers en date, Jacobello del Fiore et Michele Giambono, c’est simplement constater que, à l’image byzantine, telle que jusqu’alors Venise s’est bornée à la faire venir d’Orient, ces peintres ajoutent quelque imitation de Giotto. Puis, à Murano, vers t440, se crée une petite école : elle emprunte à Gentile son goût pour les décors rehaussés d’or, à l’école de Cologne une certaine douceur naïve, et elle Ise sépare pas la peinture d’encadrements gothiques, sculptés et rehaussés précieusement. Antonio da Murano et l’Allemand Johanès Alamanus sont les deux prin-cipaux artistes de ce petit groupe (Couronnement de la Vierge, Vierge triomphante, t440-46, à l’Acadé-mie de Venise, Retables à San Zaccaria). Antonio collabore avec sots frère, Bartolomeo Vivarini, qui peut être plus réellement considéré comme le premier peintre vénitien. Il est influencé visible-ment par Mantegna. Son parent, Alvise (ou Luigi) Vivarini, qui peindra jusqu’en 1103, n’aura déjà plus d’un Primitif que le sentiment religieux : il collaborera, avec les frères Bellini, aux fresques historiques de la salle du grand Conseil, détruites dans l’incendie L’ART ET LES ARTISTES d. Milan Mus& Brera. — LA VIERGE ET L’ENFANT (DÉTAIL) 98 de 1577. C’en est donc vite fini de parler des Primitifs de Venise ! En mentionnant deux élèves médiocres des Vivarini, Jacopo da Valencia et Andrea da Murano, nous ne trou-verons plus à en nommer qu’un troi-sième, mais hautement intéressant, Carlo Cri-velli (t43o-1495), qui alla vivre à Ascoli, dans la marche d’An-cène. Crivelli est à la fois influencé par l’é-cole de Padoue et l’école ombrienne, il est maniéré et brutal tout ensemble, mais son originalité s’at-teste quand même, et sa noblesse, son sens décoratif, son coloris ardent, son amour du caractère et du pathé-tique font de lui un artiste plein d’attrait. C’est un véritable Primitif, digne des Quattrocen-sixtes florentins. (Couronnement de la Vierge et Triptyque au musée Brera, de Milan.) Si l’influence de Gentile da Fabriano a marqué fortement l’école de Murano, elle a marqué plus encore la naissante école de Venise. Jacopo Bellini avait en effet accompagné Gentile à Florence, en qualité d’élève (1422) et profité de son enseigne-ment ainsi que de celui de Pisanello. Deux de ses recueilsde dessins (au British Museum etau Louvre) montrent qu’il sut déjà trouver, en dehors de l’ar-chaïsme mystique et du naturalisme, un art plus familier, plus souple, plus prenant, par ses élé-ments pittoresques. Jacopo Bellini, qui devait donner à Venise, avec ses deux fils, deux glorieux maîtres, fut l’homme qui ferma l’ère primitive, si courte, et ouvrit largement l’ère de la peinture vénitienne dont l’éblouissement brusque allait faire pâlir l’art de l’Italie occidentale et centrale. LES BELLINI ET CARPACCIO Gentile et Giovanni Bellini naquirent en 1426 et 1427 : ils devaient vivre tous deux très long-temps, jusqu’en 1507 et 1516. Leur père les forma. Nés et élevés à Florence, où il avait suivi