LA PEINTURE ITALIENNE non le regret de leur mort individuelle, mais la désespérance de l’Italie vaincue qu’il exprima. Quatre immortelles figures de douleur, les images mêmes de la défaite, créées par un être sublime, et aussi par un inventeur de formes violentes, osant des déformations surhumaines, sacrifiant tout à l’expression de sa furieuse passion, et léguant à l’art futur, par ses fautes mêmes, par ses outrances volontaires, un exemple singulier. En t 525, Paul Hl chargeait l’artiste de la dicta-ture artistique que Léon X avait jadis donné à Raphaël et lui demandait de terminer la Sixtine. La paroi de la façade s’était écroulée sous Léon X, et la paroi derrière l’autel, au fond de. la chapelle, restait vide. Michel-Ange se réins-talla en ce lieu qu’il n’avait pas revu depuis vingt ans. Il rêva, pusse la paroi de la façade, une Chiite des Anges re-belles qui ne fut jamais faite. Mais il peignit, derrière l’autel, son for-midable Jugement der-nier, de 1535 à 1$41. C’est une synthèse de la nudité humaine, toute païenne, hardie jusqu’à l’indécence in-consciente, prouvant pl us que jamais combien l’artiste estimait que le corps humain doit suf-fire à tout exprimer. Dans toute l’oeuvre, ois le souci de la vraisem-blance du coloris n’in-tervient même plus et ois une teinte livide suffit à colores’ des sta-tues, on ne trouve plus la spiritualisation de la Genèse de 1512, mais une sorte de délire anato-mique, une frénésie de puissance créant une humanité anormale et presque inviable. L’âme de Dante se fanatise ici jusqu’à devenir l’âme de Savo-narole. Le Christ lui-même foudroie, les élus et les anges sont aussi convulsés que les damnés, l’épouvante disloque cet amas d’hercules et de titans, et toute la fresque est une page de colère vengeresse conçue par une âme ulcérée qui menace tout ensemble la Rome humaniste et dissolue et l’hérésie luthérienne par ce rappel des châtiments célestes. Ni pitié, ni douceur, ni spiritualisme ers cette oeuvre, rien que la terreuse de la chair devant la mort : d’extraordinaires trouvailles d’un Signo-relli exaspéré, l’alliance disparate d’un esprit sau-vagement mystique et d’un art de paganisme violent, voilà ce qu’on trouve en cette oeuvre exceptionnelle qui excita l’admiration et l’indigna-tion, qui parut choquante au point qu’on chargea Daniel de Volterra, en 1554, de voiler de drape-ries ces nudités offensantes. Michel-Ange côtoyait la folie en cette oeuvre, cri frénétique d’Une conscience de Primitif en plein xvis, siècle. La papauté, qui créait une Contre-Réforme et répondait à Luther en fondant, après le Concile rie Trente, l’Inquisition, ne comprit pas l’austérité mystique de cet Eue-chiel irrité, elle ne fut que blessée par l’audace païenne de son exécu-tion. La Rome licen-dense, devant les co-lères protestantes, de-venait pudibonde et s’inquiétait de posséder dans le Vatican une oeuvre aussi scandaleuse par sots réalisme. Elle y resta pourtant, et l’art entier y vint étudier le dogme nouveau, le dogme du nu, expres-sion suprême, dogme tout antique dont le Jugement dernier est la ss Somme » et qui, par un retorse inattendu, place moins la pudeur dans le paradis que dans l’Olympe profane des Grecs et de Raphaël. Michel-Ange peignit encore deux fresques (Conversion de sain? Pa HI CruriJirurcvl de sailli Pierre) pour la chapelle Pauline (155o). Puis il quitta le pinceau. Il aimait chastement, depuis longtemps, la pieuse Vittoria Colonna, veuve du marquis de Pescara. Elle mourut en 1547: elle avait été la seule femme qui eût ému le cœur de ce grand solitaire. Il ne fit plus que quelques statues, la l’ieia de la cathédrale cle Florence, celle du palais Rondanini, ébauches d’une douleur et d’une mélancolie sublimes, où son génie de sculpteur s’affirme avec plus de force et aussi plus de mys-tère que jamais, et les statures de Lia et Rachel pour le tombeau de Jules II, auquel il avait déjà ajouté 11., Agi Lon,re. LE DOMINIQUIN — SAINTE CÉCILE t55