Le Mois Artistique DESSINS DE RODIN (Salle des Véies du u Gil Blas s, jo, rue Louis-le-Grand). — Le maître les expose souvent. Cependant cette exhibition-là nous réservait encore des surprises. En effet, on y constate une sorte de différence, de progrès. Jusqu’ici le grand sculpteur semblait se satisfaire uniquement de croquis : répertoire de formes et de gestes innombrables, pour une oeuvre statuaire. Cette fois, on dirait qu’un dessein plus précis le hante. Il imagine des séries et des groupes, il modifie un peu le procédé et le rapproche davan-tage de celui de la fresque. Il y a là quelques magnifiques corps de femmes, d’un modelé achevé, dont les saillies sont distri-buées, suivant la dynamique relative d’im mouve-ment général. Le sculpteur a passé doucement son pouce sur ces formes et il a éveillé dans la luminosité de la page l’estompement d’une chair réelle. Et ce sont des corps de jeunes femmes suaves et blonde, les jambes mobiles et fortes d’un génie au torse musculeux abandonné à la vitesse de sa chute et dont la tête et les bras rencontrent brutalement le sol, des sirènes étendues comme au fond de l’eau, des visages apparaissant dans une tache d’aquarelle reliant des lignes voluptueuses qui sont des yeux, un nez, une bouche. Ces dessins seraient bien plutôt l’à-propos d’une pensée qu’une imitation expressive. Pour Rodin, chaque être, chaque membre d’un être est le reflet d’une forme dont le prototype est dans la nature et vient se retrouver sur le moule admirablement variable de l’espèce humaine. Ainsi, les figures groupées sous ce titre : La Création de la Femme. Quel magnifique sujet de fresque, qui, espérons-le, un jour se réalisera pour la gloire de l’art français! Ici, un corps lancé sur un pied grêle et portant la notation : Vitesse, Arc, caractérisant la courbe continue et simple d’un mou-vement fou ; là, une forme de femme couchée, appuyée sur un coude et regardant devant elle, une jambe passée sur le cou en un angle qui motive étonnamment la mention : Architecture; là, La Naissance de Vénus, dont les membres ployés semblent prêts à sortir d’une conque. Bref, un ensemble de corps, nus, libres et livrés à eux-mêmes, à la folie de la danse, de la gymnastique, de la passion, de la colère. Ce dessin, aussi peu académique que possible, l’ondoiement de cette ligne souvent unique disant le corps et son ambiance imposent l’idée que celui qui a pu sentir à ce vertigineux degré d’audace et de simplicité était soutenu dans sa volonté esthé-tique par un instinct primitif antérieur à son éveil à l’art, tellement profond et tellement instinctif, en effet, qu’il semble qu’à l’élaboration si rapide de ces figures dans l’espace les yeux ne prennent presque pas de part, mais laissent tout à la main, à la main aveugle, mais subtile. TROISIEME EXPOSITION DE LA GRAVURE ORI-GINALE EN NOIR (Galeries Allard, 20, rue des Capucines). — Ces aquafortistes, ces graveurs, ces lithographes n’ont rien de bien nouveau à nous apprendre sur eux-mêmes. Tous travaillent, chacun dans leur sens, et l’on sait que les découvertes sont rares, surtout les plus apparentes. Bien entendu, nous mettrons hors de pair l’admi-rable et intense Paul-Emile Colin, dont l’accent, la sincérité et le primitivisme sont également évi-dents. C’est un bel artiste qui aura consacré, loin des bruits violents de la publicité toute sa vie, etses qualités d’observation de la vie, et le génie de sa main à célébrer ces travaux et ces jours de notre campagne moderne, qui n’a pas bougé, essentielle-ment, depuis Hésiode. M. Gayac est toujours fantomal et très près de Goya, tout au moins pour l’équivoque et l’horreur. Il faut admirer de très intéressantes notations de théâtre de M. Charles-Jean Hallo. M. Hochard connaît fort bien tout le côté bourgeois de la vie ecclésiastique : il illustre-rait merveilleusement les romans de Ferdinand Fabre. J’ai parlé tellement de fois, ici même, à toutes les occasions de MM. J.-M. Michel Canin, Dallemagne, Dehérain, Féau, Friant (La Toilette de l’Enfant), Heimerdinger, Jonas, Lechat, Le Meilleur, Lequeux, Meunier, Mignot, Oudard, Simon, le public les connaît si bien, que je n’aurais que des scrupules en essayant d’en parler une fois 176