L’ART ET LES ARTISTES VUE D’AV et souvent imitée, elle n’a pas cessé, depuis treize ans, d’étre la meilleure illustration du chapitre nouveau qui, dorénavant, appartient à l’histoire. Elle n’est pas seule; et d’autres, plus douloureuses, la commentent dans une pareille pénombre, avec un même parfum d’absence et de mort. La souffrance est la fleur mystique de cette extrémité du monde; et Cottet la cultive avec dilection dans la série de ses Deuils marins. Peintures ou pastels, — des visages fiers, muets, immobiles on dirait l’âme visible de la résignation ; le souvenir veille sous le repos apparent des paupières baissées ; l’aïeule s’en-dort sur l’épaule de la promise; et ce calme reli-gieux apparaît plus poignant que l’hystérie du désespoir. Point de geste ou de grimace, en guise d’expression ce deuil robuste émeut par le silence pénétrant de la peinture ; il traduit la fatalité qui pèse avec le ciel bas sur la vieille Armorique, où l’attente a déjà la mélancolie du regret. Et l’auteur se révèle en ce mode mineur de son art au fond, ce solitaire est un tendre, qui com-prend la musique et ne craint pas la rêverie; n’est-il pas le beau-frère du lyrique Alfred Ernst, qui mourait l’année même où fut exposé le Repas d’adieu ? La musique a pris pour lui le charme attristé du souvenir… Ses héros se nomment Beethoven et Rembrandt, les deux bourrus bien-faisants de l’idéal, dont la vieillesse misérable n’a rien emprunté des sourires mondains pour illumi-ner singulièrement l’humanité souffrante ; il aime leur gravité naturelle et leur trivialité sublime un peintre adore les derniers rayonsdeces loyaux génies comme il interroge les derniers feux d’un beau soir. Telles sont les hautes mélodies du souvenir ou du silence qu’il écoute an pays de la Mer ; à ses yeux, la mâture embrumée revêt l’au-delà d’un vaisseau-fantôme : et cela, sans littérature apparente et sans facile abus de mystère. Il sait que la peinture est ILA (1904) un art concret, qui s’embarrasse malaisément d’une métaphysique ; il rêve même un art populaire, qui parlerait directement au coeur des foules. Ce mélo-mane de bon sens respecte avant tout la réalité ; mais il veut l’ennoblir d’un rayon d’amour: le peintre des Adieux fraternise avec ses humbles modèles, comme Alfred Bruneau, le musicien de l’Ouragan, comme Roger-Bloche, le statuaire du Froid. Partir de la nature pour l’interpréter, la recomposer, la faire parler, ajouter à ses muettes suggestions la réponse du coeur, voilà sa poétique; et l’ironie d’un Degas verrait autrement le Vieux cheval blanc dans la lande bretonne. Quelques reproches qu’il faille parfois adresser aux formes massives, aux tons frustes de ses abré-viations hardies, Cottet donne l’impression d’un Courbet sentimental, moins inpeccable de métier, mais plus nourri d’émotion. Courbet, qui se préoc-cupait déjà « d’allégorie réelle », éludait plus volontiers ce grand problème de la stylisation qui caractérise fortement les plus récents morceaux de la « série » la toile du Petit-Palais, Messe basse, eu Hiver (t 902), où les capuchons noirs se hâtent sous la pâleur du ciel, et le dernier des deuils marins, intitulé simplement Douleur (1908) : devant les maisons encore teintées, des voiles de sang pendent sur l’eau grise ; les hommes, au premier plan téné-breux, se taisent agenouillés autour d’un brancard, et de noires Bretonnes, prosternées sur un cadavre exsangue, rappellent aux yeux les saintes pleureuses d’u ne Pietà. L’amertume, ainsi généralisée, remonte à la ferveur des Primitifs ; et ce cadavre imite le Christ par la seule ampleur de sa forme pâle et du groupe navré qui l’entoure. Comprise ainsi, la peinture n’est plus une « vanité n dans a l’imita-tion », mais le vêtement d’une pensée. Et c’est par ce renouveau du sentiment dans l’air du soir que le peintre se rattache au romantisme humanisé par 167