L’ART ET LES ARTISTES l’appui de l’affirmative, le portrait, aujourd’hui disparu, de l’Arétin, qu’il peignit en 1544, l’em-ploi, dans ses tableaux, des costumes vénitiens, la présence dans ses fonds des églises et des campa-niles de la lagune, son adresse à traiter les étoffes de drap d’or et d’argent, le velours et le damas, surtout le don qu’il eut d’exprimer le sentiment religieux dans des figures pleines de force et de vie. Tout cela, même l’assertion relative à l’Arétin (ce dernier voyageait beaucoup), est plus spécieux que décisif. Moretto a sûrement pratiqué les ou-vrages de Titien et de Palma le Vieux, voire de Pordenone, qui travailla au Dôme de Crémone, tout près de Brescia, de 152o à t522. Mais il ne pouvait négliger son compatriote Romanino, de treize ans son acné, qui, dans ses grandes toiles de la Cathédrale, de San Francisco et de San Gio-vanni Evangelista à Brescia, et surtout sa Vierge glorieuse du musée Civique à Padoue, mettait au service d’un dessin un peu mou et flottant une palette d’une chaleur et d’un éclat splendides. Moretto n’en reste pas moins parfaitement person-nel et les types, l’ordonnance et la coloration de ses tableaux leur tiendraient lieu de signature. La vie de notre artiste ne présente aucun inci-dent. Son développement fut d’une promptitude remarquable. Son premier tableau connu, long-temps exposé, comme un Titien, à la galerie de Bergame, est de 1518. Deux de ses compositions en date de 1521, à San Giovanni Evangelista : Le Prophète Elle au Désert et La Cène comptent parmi ses grands chefs-d’oeuvre. Bien vite hors de pair, les fabriques des églises se disputèrent ses productions, qui en font encore le principal intérêt. Toutes se sont remarquablement conservées; mais les retraits opérés par la municipalité de Brescia, qui les a transférées au musée, en a parfois affaibli l’effet, en les arrachant du cadre pour lequel le peintre les avait conçues. C’est le cas pour le saint Nicolas présentant les enfants sauvés par lui à la Vierge, qui était l’orgueil de la Madonna dei Miracoli. L’existence de Moretto semble s’être passée sans heurt, dans la pratique parallèle de son métier et de ses habitudes religieuses. Très honoré de ses concitoyens, ne manquant jamais de commandes, fréquemment sollicité pour des portraits par l’aris-tocratie locale, il mourut, relativement jeune, en 1555, sans qu’on sache la cause, organique ou ac-cidentelle, de sa fin. On l’inhuma avec de grands honneurs dans la petite église Saint-Clément, qui est comme tapissée de ses ouvrages. Le nombre de ceux-ci est actuellement évalué à cent six tableaux, neuf portraits, treize fresques, sur lesquels Brescia en possède à elle seule soixante-neuf. Son principal élève fut Jean-Baptiste Moroni, le Phot. A I irta . c.ue, I •■ PORTRAIT D’UN BOTANISTE célèbre portraitiste de Bergame, que nous avons étudié précédemment dans cette Revue. Les compositions de Moretto présentent très fréquemment une division bipartite motivée par le développement en hauteur qu’affectaient les tableaux d’autel. Pour en combler la partie supé-rieure, il superpose aux figures du bas : saints en adoration ou en prières, vierges, martyres tenant les instruments de leur supplice, Marie assise sur des nuages tenant l’enfant, le tendant au petit Jean-Baptiste, ou le regardant jouer avec lui, entre d’autres saints ou auprès d’Elisabeth ; parfois encore elle est couronnée par Jésus seul, ou celui-ci et Dieu le père. Cette disposition, gênante pour le peintre, l’est aussi pour le spectateur, dont l’atten-tion se trouve divisée; il n’est qu’une circonstance qui la justifie, c’est l’assomption de la Vierge (à la cathédrale) oit la convergence des gestes et des regards des apôtres vers elle établit entre les deux régions du tableau l’unité nécessaire. Malgré ce qu’une telle ordonnance offre, par ailleurs, de mo-notone, Moretto sut y introduire d’heureux épi-sodes, de nombreuses variantes, et le plus éclatant peut-être de ses chefs-d’œuvre appartient à cette catégorie. C’est à Saints-Nazaire-et-Celse, la Vierge 197