L’ART ET LES ARTISTES poièrit AIT D’UN INCONNU de ces villes médiocres que recommande ou so-lennise seul le nom de quelque grand artiste local, absent des musées et vite expédié par les manuels? C’est de l’inconnu dans lequel on pénètre, sans notions préconçues, sans avant-goût affadissant. Et quel plaisir lorsque, la ville vue, on emporte le souvenir d’une ligure attachante, l’initiation à une œuvre expressive qui, plus tard, de sa loca-lisation lointaine et de son contact fugitif gardera comme une auréole de mystère, une saveur de confidence Parmi ces villes révélatrices Sienne a Pintu-ricchio; Orvieto a Signorelli; Bergame, Lorenzo Lotto. Mais ces maîtres, pour s’y manifester du sommet de leur talent, ne laissent pas de se ren-contrer çà et là dans les galeries, dans de nom-breuses églises éparses. Il n’en est pas de même avec un Piero della Francesca à Arezzo, un Moroni dans la même Bergame, un Moretto à Brescia. On peut bien dire que de cens-là l’âme s’est con-centrée en un seul lieu, dont elle imprègne les pierres, emplit les placettes et les ruelles, illumine toutes les perspectives, comme sa divinité fami-lière. Ce caractère s’exalte encore chez Moretto par l’obscurité de sa vie. On le croit né, en 1408, à Rovato, petite ville industrielle à dix-huit kilo-mètres de Brescia, sur la route de Bergame, an-ciennement fortifiée et qui a subi divers sièges, notamment en t 429. On y montre encore sa oraison natale; ce serait l’édifice renfermant les écoles communales et qui appartint durant un temps à la famille Bonvicino ; tel est, en effet, le nom patronymique du peintre, qui doit le vocable sous lequel il a passé à la postérité à son teint basané de More. Tout enfant, il vit l’invasion de son pays par les Français, alors en guerre avec Venise, et qui commirent à Rovato tolites sortes d’excès. Il assista à la réaction qui suivit et aux nouvelles vêpres siciliennes dirigées par Lorenzo Gigli, puis à l’atroce répression où la soldatesque de Gaston de Foix, maîtresse de Brescia, après le siège de 1512. se baigna dans le sang huit jours durant. Son cœur d’enfant fut bouleversé par ce spectacle; on le vit activement mêlé au réveil religieux qui suivit la Réforme et à la réaction contre la corruption des mœurs, qu’il combattit dans les confréries et dans les oeuvres. On a remarqué qu’il n’existe pas de lui un seul ouvrage profane, car le seul qui lui ait été attribué, Vénus pleurant Adonis, aux Uffizzi, est aujourd’hui contesté. M. Ulysse Papa signale qu’il peignit la Vierge, dite de Paitone, qui était apparue à un berger, pour lui annoncer la fin d’une épi-démie, si on lui élevait un sanctuaire, d’après les indications même de ce dernier, qu’il respecta scrupuleusement, et mentionne son Chris/ à la Colonie, du Musée de Naples, comme un ouvrage exprimant avec force le mysticisme de l’artiste; il eût pu y ajouter le Christ au Roseau, dont un ange montre la tunique avec une expressions si doulou-reuse et qui est au musée de Brescia. Moretto, dont le goût pour la peinture s’était manifesté de bonne heure, avait dû quitter sa ville natale dès t 5 t4, à la recherche d’un maître capable de cultiver ses dispositions. Il le trouva à Brescia en Floriano Ferramola, alors en renom, et dont une Annonciation, à fresque, se voit encore dans l’église Santa Maria del Carmine. Le goût des arts y était depuis longtemps en faveur ; on possède des noms de peintres locaux dès la fin du an’ siè-cle. Vincenzo Foppa, le vigoureux artiste dont les fresques du martyre de suint Sébastien et de la Vierge entre deux saints sont parmi les joyaux du musée Brera à Milan, naquit à Brescia. Ferramola lui était bien inférieur, aussi s’étonne-t-on des dons de coloris et de composition qui se manifes-tèrent rapidement chez son élève, et plusieurs esprits inclinent à croire qu’il ne put les dévelop-per qu’au contact direct des maîtres vénitiens. D’où l’opinion s’est accréditée qu’il aurait travaillé dans l’atelier de Titien, mais on n’en a aucune preuve. Alla-t-il du moins à Venise ? On a invoqué à 196