LES DESSINS DE HANS HOLBEIN AU MUSÉE DE BALE ESQUISSE POUR s LA FAMILLE DU CHANCELIER THOMAS MORUS » métier et sa souveraine indifférence des sujets, sérieux, triste, plein de soucis dans un temps néfaste aux artistes, à une heure oit, malgré un labeur acharné, les peintres pouvaient à peine vivre. La Réforme montait, chassait les images des églises, et, selon l’expression d’Érasme, r les arts avaient froid en ce pays n. Le portrait que fit de lui-même Holbein à cette époque trahit ses anxiétés secrètes de travailleur mal payé, de père précocement vieilli, au visage fermé et dur. Les dessins des deux petites salles du musée de l’Au-gustinergasse nous racontent les luttes de cette période, avant que l’amitié d’Erasine et de More lui fit trouver gloire et fortune en cette Angle-terre d’où il ne voulut plus revenir. Comment deviner, sous tant d’épisodes dispa-rates, sous tant de commandes, l’inclination de son esprit ? L’admirable égalité technique fait bien croire que cette inclination s’attachait uniquement à l’art lui-même. Les lavis représentant des scènes de la Passion sont d’une composition et d’une ex-pression saisissantes, et on sait quelle sobre et pathétique mysticité inspire la Vierge de Darm-stadt. Cependant, si Holbein a été croyant, une page aussi terrible que son Christ, peint d’après un juif noyé, montre que sa foi ne reniait aucu-nement un matérialisme d’une farouche énergie, et nulle idéalité n’auréole ce cadavre putrescent. La brutalité sardonique de la Danse des Morts est d’un révolté sceptique et amer, et tel dessin reli-gieux décèle, sinon l’incroyant, tout au moins le réformiste. Nous ne pénétrons donc pas le mystère de cette âme. Mais l’artiste était si intelligent devant la nature expressive qu’il était capable, en ouvrier magistral, d’imiter jusqu’aux croyances qu’il ne ressentait point et de les traduire plasti-quement. Ce n’est pas un grand peintre religieux, mais il compose, suppose et réalise parfaitement des scènes religieuses, et il a compris la fierté sévère de Mantegna suffisamment pour qu’une page comme l’Ecce Homo du musée soit une belle et puissante chose ; et il a aussi de soudaines éclaircies de tendresse, comme l’atteste une petite note exquise dans un coin, une Madone assise donnant le sein, quelques traits, quelques ombres, un peu de blanc sur du papier gris, un rien fragile et délicieux, fluide comme la pensée elle-même… Mais ses lansquenets cambrant leurs torses cui-rassés sont de ce même beau métier imperturbable; et s’il dessine un fourreau de dague, des centaures et des griffons, s’il déchaine la ronde cynique et burlesque de rustres en ripaille, s’il mêle avec t09