L’ART ET LES ARTISTES DAME DE CONDITION DE BAU: femme, si douce et si pure avec ses voiles presque religieux, de ce couple demeuré catholique et pour lequel l’ouvrier superbe, indifférent à tout ce qui n’est point la peinture — sa seule déité au fond —peindra, quoique ami des Réformistes, la si belle Vierge de Darmstadt. C’est le don du dessin psy-chologique qui ennoblit la rapide esquisse au pas-tel du fils de Thomas More, avec ses cheveux longs et son grand feutre, où je ne sais pourquoi s’im-pose à moi l’analogie avec certains crayons francs, vifs et vaporeux, de Watteau. La face bouffie et narquoise d’un ecclésiastique en prière trahit l’iro-nie du sceptique Holbein, ainsi que telle dame à escoftion, à manteau somptueux, à collerette ornée de perles, ou encore cet homme au nez gros, au profil sensuel, dont quelques touches suffisent à vermillonner le teint : les portraits du chambellan anglais Carew et d’une dame anglaise sont deux chefs-d’oeuvre, deux exemples définitifs de prépa-ration au pastel auxquels tous les portraitistes du inonde devraient venir demander une leçon, comme au petit musée de Saint-Quentin si calme, si simple et si riche lui aussi : le dessin qui met en place la famille de Thomas More est à lui seul, en le rapprochant du dessin de la famille Forestier par Ingres, le plus silr fondement du jugement que la critique d’art pourrait tenter en mesurant à l’exact génie d’Holbein l’exact talent d’Ingres. Mais la qualité de perception qui donne à ces évocations de la figure humaine un si grand prix est bien due non à l’émotion, mais à une méthode rigoureuse : car un dessin de moutons et un dessin de chauve-souris, tout proches, s’attestent aussi extraordinaires par le rassem-blement des plus subtils détails en une synthèse de l’animal vivant. Au miracle de l’imitation absolue se joint toujours, chez Holbein, un sens profond du caractère dominant : il dit tout, mais il sait bien que la sensation de la vie résulte de la coordination de chacun des détails restitués en leur véracité, et quand il a tout copié jusqu’à fournir un double état de la vie physique, il résume toute cette dissection, et à cette ana-tomie dessinée il insuffle l’âme — l’âme que son esquisse avait fixée d’abord. Et que le dessin date de sa pleine maturité, comme le portrait de Jean More, ou de sa jeunesse comme celui de Jacques Meyer, la maitrise est la même : si le génie est une longue patience, le miracle déconcertant est, ici, qu’a dix-neuf ans la vertu de patience avait déjà mis Holbein en, possession des plus profonds secrets, sinon des arts, tout au moins du sien. L’influence grandissante du classicisme italien, pénétrant en Allemagne, a pesé sur toutes les compositions religieuses, antiques, décoratives qu’Holbein entreprit ; elle est intervenue dans sa mentalité, mais elle n’a pu dénaturer son sens inné du réalisme et le dévoyer dans l’allégorie. Il fut préservé, même, par son amour exclusif du dessin pour le dessin et par la façon toute a ou-vrière dont il conçut toujours sa profession. Dès l’âge de vingt-trois ans, après sans doute un court voyage en Italie, il se réinstallait à Bile, y épou-sait une veuve, et devait rechercher et accepter tous travaux, ne pouvant compter que sur eux pour vivre. Si Bile ou Lucerne avaient connu un très jeune homme passablement buveur et débau-ché, Holbein marié n’était plus qu’un peintre de corporation subsistant de son état projets de vitraux et d’armoiries, dessins d’ornement, tableaux de sainteté, frises de façades, figures de dames à la mode, fresques allégoriques, croquetons, ex-libris, scènes de la Passion ou de l’Ancien Testament, compositions de la Danse des Morts, il fallait tout faire selon la commande et la mode, parallèlement à des portraits comme l’Emme ou le Froben, ou à des figures comme la dame d’Offenbourg, baptisée Laïs Corinthiaca n. Et Holbein faisait tout, avec son merveilleux lo6