LES DESSINS DE HANS HOLBEIN AU MUSÉE DE BALE DAME DE CONDITION DE BALE gente, de l’artiste embusqué derrière la vérité qu’il nous montre, cet effacement de soi que Flaubert érigeait en règle inflexible du parfait ouvrier d’art, Holbein en a été l’exemple le plus typique, et plus on considère ses ouvrages, plus il se fait oublier: nous ne songeons plus qu’un grand homme a fait cela, nous sommes, par lui, bissés seuls avec la Vérité. Nul ne fut plus savant, nul ne fut moins virtuose, et n’eut moins le souci de se faire admirer. Mais l’être ou la scène qu’il peignait, il voulait que personne ne pin jamais les supposer différents de l’image définitive qu’il nous en a imposée et il nous interdisait à l’avance d’en douter, par la force de son génie. C’est pour-quoi, devant Holbein, on ne peut rêver, collaborer par l’apport de sa propre sensibilité à une oeuvre totalement exprimée une fois pour toutes, dont l’exactitude infaillible donne la certitude qu’elle n’eût pu être, en aucun de ses détails, différente de ce que nous la voyons en sorte que cet effacement de l’artiste est en réalité de la domination, l’em-prise silencieuse de sa vision sur notre esprit. Les préparations de Holbein pour des portraits sont les plus célèbres de ses dessins. On y voit net-tement la relation entre sa perception et sa main. DAME BOURGEOISE DE PALE Il regarde le modèle, il le fascine d’un oeil froid et fixe, comme l’ophidien paralysant l’oiseau, il l’ap-prend par coeur, il l’assimile, il lui soutire sa vie magnétique, il en construit tout le portrait dans sa mémoire avide : puis il classe par ordre d’impor-tance les traits qui lui semblent déceler le mieux les mobiles essentiels du caractère de son modèle, et ce sont ceux-là que sa main note seulement. Les autres, Holbein sait qu’il s’en souviendra tou-jours lorsqu’a loisir dans l’atelier il exécutera la peinture, mais ceux-là il les enregistre sur le vif, et ainsi quelques hachures de mine d’argent, de crayon, de sanguine, de pastel, lui suffisent à pré-ciser un document tout psychologique. C’est à quoi il s’attache avant tout s’il a besoin de com-poser son tableau futur, des teintes plates ou quel-ques ombres seront là indiquées tout juste pour prévoir ce que sera l’ensemble. L’ouvrier travaillera seul pour achever des merveilles comme les por-traits d’Amerbach, d’Erasme, de Morett, de Gisze ou de Henri VIII : mais les dessins, c’est l’analyste, le curieux d’àmes, le pénétrant devin des pensées, qui les fait, et c’est pourquoi Holbein se livre à nous, par eux, autant qu’il nous les livre, et nous y voyons très bien ce qui l’émouvait dans l’exis-t03