L’ART ET LES ARTISTES court séjour de Croule sur R continent un Boulevard des Italiens, de 1815 (collection I. H. Gurnev, de Keswick Hall, près de Norwich), une Rivière d’Ostende à Bruges, de 1818 (collection J. H. Heseltine), et un Marché aux Poissons à Bou-‘Iogne, de 1820 (collection J. H. Gurnev). Comme il l’écrivait à M » » Cane, il avait e tiré profit de son voyage e. Et il prouvait ainsi que le changement d’atmosphère n’était nullement fatal à son art, puisque ces trois tableaux sont au nombre de ses plus beaux et qu’il V révèle plus de variété dans l’exécution et de hardiesse dans la couleur que dans le reste de son oeuvre. Ce qui frappe tout d’abord dans le Bonlevard, c’est le parti que le peintre a su tirer des grands arbres, irrégulièrement alignés sur trois rangs, entre lesquels coule la vie grouillante du trottoir et de la chaussée : ce boulevard, aux maisons en partie dissimulées, a des profondeurs de sous-bois. Tandis que cavaliers, pataches et cabriolets défilent ou galopent sur la chaussée, à l’ombre des ramures automnales s’offre, sur l’un des trottoirs, le pitto-resque déballage d’un marché en plein vent. Une marchande de légumes dont la hotte posée :1 terre propose la luxuriance de ses p0 taux et de ses choux-fleurs, fait vis-à-vis à 1111 brocanteur qui vend des tableaux sous le simple abri d’une bâche, comme à la foire. Des étals se succèdent chargés de victuailles. Des promeneurs, des ménagères, des commissionnaires, des soldats, des bouque-tières passent, s’arrêtent, font un brin de causette. Visiblement c’est ce mouvement aisé, cette cou-leur, cette bonhomie, ce naturel de la vie pari-sienne d’alors qui ont frappé le peintre de Norwich, soucieux de traduire l’atmosphère spéciale qu’il y respirait. Certes on n’oublie pas les maîtres de Crome, les Hollandais, devant cette toile si enveloppée, si chaude, où notamment le jeu des ombres et des lumières sous les arbres est magistralement rendu, tuais sa vision s’y atteste très personnelle, comme dans ses meilleurs tableaux du Norfolk, et en présence d’un spectacle nouveau, elle s’est élargie et assouplie, sans rien perdre de cette saveur pénétrante si particulière à son art. C’est fort justement que M. Laurence Bvnion, en rendant hommage au peintre du Boulevard des Italiens, a écrit t r La vivacité et la clarté de l’air qui frappent agréablement le voyageur anglais à son arrivée à Paris, les fraîches sensations qu’ap-portent à chaque moment les choses neuves qu’il voit et entend, la gaieté des rues, le frémissement des arbres, le bleu frais du ciel d’octobre traversé de petits nuages qui se bâtent, tout cela est traduit sur cette toile vivante e. Ainsi cette page peu connue, que l’on souhai-terait dans un musée, offre le double attrait de se prouver l’une des plus importantes de Crome et d’offrir du boulevard, à ce moment unique où, avant la ccmsommation suprême du drame napo-léonien, Paris frémit d’une vie particulièrement intense et cosmopolite, une impression saisie par un artiste habitué à ne considérer que les landes, les chênes et les eaux de sa silencieuse province. A quelle époque Turner vint-il à son tour au boulevard ? On l’ignore. Les péripéties et les dates de ses voyages répétés sur le continent demeurent à peu près inconnus, car cet homme bizarre et sombre voyageait toujours seul et n’écrivait de lettres à personne. Le plus souvent on n’aurait pu affirmer s’il était à Londres, terré dans son atelier, MI sur quelque route lointaine, ses crayons et ses papiers un poche. Dans ses excursions à l’étranger, ignorant toute autre langue que la sienne (dont il ne con-naissait d’ailleurs que les rudiments) Turner ne faisait rien, bien au contraire, pour rompre ce silence et cet isolement dont il entendait jouir comme un avare de son trésor. Il se voulait obscur, anonyme, et rien ne lui déplaisait tant que lorsque son identité était découverte. Lin jour quelqu’un qui franchissait le Simplon en diligence l’aperçut tout à coup suivant à pied la passe, nanti pour tout bagage d’un antique parapluie. C’était un fervent du voyage pédestre et, très frugal, il s’accommodait fort bien d’un gîte de hasard. Uni-quement absorbé par son art, il passa ainsi une bonne partie de sa vie à parcourir le continent et l’Angleterre, à la recherche de sites et de monu-ments. Si la date du passage de Turner à Paris ne nous est pas connue, nous savons qu’il dut être posté-rieur d’une quinzaine d’années au moins à celui de Cane, puisque la série des Fientes de &mire fut publiée de 1833 à 1835. Parti du Havre, qui lui avait fourni plusieurs motifs, l’artiste avait remonté la Seine, sollicité par Honfleur, Lil-lebonne, Tancarville, Quillebeuf, Caudebec, Ju-mièges. Il avait vu Rouen, ses cathédrales, son port et ses collines, puis l’inévitable Château-Gaillard, providence des peintres, Pont-de-l’Arche, Vernon, Mantes, Saint-Germain, Saint-Denis, Saint-Cloud et Sèvres. Il n’arrivait donc pas à Paris brusque-ment, comme Crome, mais après avoir lentement suivi les méandres de son fleuve et traversé les villes et les villages que baignent ses eaux. Il est aisé de reconnaître, d’après les trente à 126