L’ART ET LES ARTISTES Tolède, que son art, né aux sources de lumière et de grâce, reçoit la farouche empreinte espagnole. Il la gardera toujours. Le portrait de la collection de Beruete nous montre le Greco des dernières années, le mystique affolé, dont le pinceau fiévreux court, avec une sorte de vertigineuse exaltation • sur des toiles sans nombre, furieusement ébauchées, et où, dans une lumière livide, sous des ciels tragiques et lourds, se meu-vent, s’agitent, gesticulent, s’é-tirent, des mi-crocéphales ex-tatiques aux membres en spi-rale. Voici -bien le terrible Greco, le Greco e mo-derne nr, le fatal messie de la dé-formation con-temporaine. Mais, chez lui du moins, chez ce chercheur d’infini, la noble sincérité du génie transparaît toujours à travers les plus douloureuses et les plus vaines poursuites des expressions spirituelles ou morales, sous le réalisme tourmenté des formes. re** Domenico Theotocopuli est d’origine hellé-nique. De là, son surnom. Il serait né dans l’île de Crète. Ses historiens les mieux documentés, M. Cossio lui-même, ne sont pas très affirmatifs au sujet de la date de sa naissance. Ce fut vers l’an-née 156o qu’il se rendit à Venise, où il étudia dans l’atelier dur Titien. Mais il parait avoir surtout subi l’influence du Tintoret, ce dieu de la couleur, dont l’art tragique et tourmenté l’impressionna. J’imagine que la rêverie studieuse du Greco dut souvent errer à travers les foules tournoyantes du grand paradis du Tintoret, une des nombreuses mer-veilles du muséedu Prado. Vue à distance,cette toile extraordinaire apparaît contrite l’immense et somp-tueuse palette d’où ses grands chefs-d’oeuvre sont sortis L’Enterrement glu Comte r Annon-ciation et La Spoliation, du Prado; Le Songe de Phi-lippe II, de l’Escurial… En 1570, il rencontre à Rome Julio Clovio, et il se lie bientôt d’étroite amitié as-cc le célèbre miniaturiste, entré déjà dans les ordres. N’est-il pas permis de supposer que la fréquen-tation de la cellule-atelier du moine-artiste, où fleurissaient, sous les fines caresses du plus habile des pinceaux, les délicates enluminures de tant d’incompa-rables manus-crits, fut favo-rable au mysti-cisme latent du jeune grec à l’âme byzantine, du futur peintre le La PellieClVe, de La Véronique, de L’Assomption de l’église Saint-Vincent, à To-lède. A cette épo-que, l’Espagne, qu’aucune loi de cadenas ne me-naçait encore, était déjà la Terre promise des communautés monastiques. Les églises et les couvents sortaient de toutes parts des ruines des mosquées et des synagogues; le tribunal de la Sainte-Hermandad, devenu le prin-cipal moyen de gouvernement, fonctionnait sans relâche, à l’ombre des cathédrales; Philippe II, escorté de ses remords et de ses terreurs, errait, solitaire, à travers les cryptes sépulcrales de l’Es-curial… Nul milieu ne pouvait convenir davantage à l’éclosion du génie religieux du Greco. Et qui sait si ce ne fut pas grâce aux pieuses sugges-tions de son ami, le moine miniaturiste, que l’auteur de tant de figures d’apôtres, de saints et d’inquisiteurs, se décida à gagner l’Espagne et à pénétrer dans Tolède, d’où il ne sortira désormais plus que pour peindre, hors les murs, quelques saintes images que l’on peut encore voir aujour-d’hui, poussiéreuses et rongées par le temps, dans le demi-jour qui les éclaire à peinte. A quelle date le Greco s’enferma-t-il dans la ville de pierre ? Bornons-nous, si vous le voulez bien, à sup-poser que ce fùt vers l’année 1575, puisque sa pre-mière toile tolédane, L’Assomption, motif central du fameux retable de Sanie 1)oniirigoel Antigno, UNE DES SALLES DE LA irusSON DU GRECO 120