Pour i parler de la fameuse Danse des Morts de Nicolas Ma-nuel (1314-1322), peinture composée de vingt-quatre pan-neaux et considérée par les con-temporains de l’artiste comme son oeuvre la plus importante, nous sommes réduits à juger d’après des copies, car cette vaste fresque, qui se déroulait à l’intérieur du mur d’enceinte du cimetière dépendant du couvent des frères prêcheurs (Domini-cains) de Berne, fut com-plètement détruite en 166o, par la démolition du mur que l’on supprima pour permettre l’élar-gissement d’une rue. En 1533, elle avait déjà été restaurée par Urbain Wyss. Fort heureusement, il en avait été pris en 1649, par Albert Krauw, une copie réduite qui existe encore dans les archives du musée historique de Berne, et, d’après cette première et unique copie qui commençait à se détériorier, il en fut établi plus tard une autre par le peintre bernois Guillaume Stettler, mort en 1708. Il est utile d’ajouter que plu-sieurs des tableaux de cette der-nière copie, les re. 16, 17, zo et 22 semblent dus à un autre pinceau. Nous devons ces précieux documents histo-riques à M. André Eschbaecher, un de nos plus distingués architectes, qui non seulement a publié une excellente notice sur la grande peinture macabre de Manuel, mais qui encore a reproduit à l’aquarelle, avec la plus consciencieuse préci-sion, les vingt-quatre panneaux copiés et parfois reconstitués par Guillaume Stettler. C’est au travail de M. Eschbaecher que nous avons emprunté les trois pièces reproduites dans cette étude, sous les 4, 19 et 23 de la série, avec les descriptions sommaires qui les accom-pagnent. Ce qui caractérise cette peinture étrange, qui n’est, en définitive, qu’une répétition, avec quelques variantes, d’anciennes danses macabres, vues et étudiées par Manuel, au couvent de Klingenthal et sur les murs extérieurs du cimetière de Bide, c’est L’ART ET LES ARTISTES Musée de 1111e. AUTRE DÉCOLLATION DE SAINT JEAN—BAPTISTE un heureux mélange d’idéal et de réalisme, d’iro-nie, parfois cruelle, et de pitié profonde. Dans les nombreuses peintures de ce genre, exécutées avant la Réforme et aujourd’hui presque toutes détruites ou effacées, on ne voit guère qu’une sorte de faran-dole lugubre, où tous les ordres de la Société défilent, marchant en cadence vers l’éternel repos, encadrés par des squelettes au rictus railleur, qui rythment le mouvement d’un geste sec. Mais, avec Manuel, la Danse des Morts change d’aspect. Ce n’est plus seulement la mélancolique et douloureuse peinture de la fin de l’homme, pauvre ou riche, fatalement contraint d’abandonner au bord de la tombe sa fortune ou sa misère, ses rêves ou ses désespoirs. Manuel, âpre satirique, réformiste combattif, a trouvé dans cette formule picturale, d’un aspect si impressionnant et qui, sous la grande lumière du jour, doit demeurer, comme un livre largement ouvert aux yeux du peuple, un moyen de défendre 107