L’INDE VIE PAR M. ALBERT BESNARD une telle constatation d’ordre littéraire et philosophique s’est imposée de plus en plus à M. Besnard en route pour les Indes et c’est pourquoi il a écrit, ne se bornant point à dessiner et à peindre. On dirait que de son ancien séjour en Algérie lui est resté le regret d’avoir trop peu sondé les âmes, d’avoir été surtout curieux des aspects entre le voyage d’Algérie et le voyage des Indes, il y a le mûrisse-ment de l’âge et d’une longue série d’oeuvres, il y a l’intervention gran-dissante de l’homme méditatif, moins de désir de se jeter en virtuose superbe au-devant de tous les motifs qui s’offrent, plus de volonté de coin-prendre le profond, de choisir, de ne peindre que l’essentiel. Tout ceci ne sera point inutile pour préciser la leçon d’une sem-blable exposition. Elle est un des grands faits d’art de l’année partout on s’empressera de la décrire dans le détail, et de la commenter avec le respect minutieux dû à une importante manifestation d’un homme dont personne ne conteste plus qu’il soit une des trois ou quatre ligures glorieuses et représentatives de l’art national devant l’Europe. A chacun de choisir sa tâche et plutôt que d’ajouter simplement une note au juste concert d’éloges, ou de n’examiner qu’en soi l’oeuvre réunie à la galerie Petit, je préférerai recher-cher le sentiment intime de cette oeuvre, et la situer dans l’évolution entière de l’artiste et de l’homme. Quelque belles que soient ces visions brù-lantes et frémissantes, elles sont mieux qu’un spectacle d’exotisme offert par un maitre à notre curiosité visuelle, et leur intérêt capital est encore dans leur auteur lui-même. Je ne puis l’effacer derrière ses toiles c’est sa pensée qui m’attache et que j’y recherche ; c’est le trouble ressenti par cette nature infiniment impressionnable, intelligente à un degré inconnu de tout peintre actuel ; c’est la façon dont cet esprit aigu, lucide, malléable, se passionnant à assimiler, s’irritant de toute nuance rebelle à l’analyse, a confronté ses méthodes au mystère morne d’une race entre toutes hermétique. Lutte étrange, où pour se LES PLEUREUSES 3 (PRÈS DU LAC D’OEDA1POUR) secourir lui-même le peintre s’est fait écrivain ! Aucune des oeuvres exposées ne sera, pour dire ce conflit de l’intelligence européenne et du mutisme oriental, précieuse et significative au degré de ces admirables carnets de voyage où l’écriture fébrile, menue, incisive et capricieuse comme un griffon-nis d’eau-forte, envahit les croquis, les ébauches aquarellées, ces carnets que les intimes ont vus, et où la double pensée écrite et peinte s’exalte, où l’on surprend le travail immédiat du cerveau assailli d’intuitions, cherchant à fixer, à synthé-tiser, avec des raccourcis magnifiques, des trou-vailles enthousiasmées et des hésitations plus intéressantes encore… Beaucoup ont dù penser que M. Besnard, pour qui n’existe aucune impossibilité technique, partait dans l’Inde en grand peintre, pour y exécuter avec ampleur et sérénité une série de beaux tableaux composés, et y majorer d’un ton suprême les éclatantes harmonies de son oeuvre antérieure. Pour un Delacroix imaginant l’Orient et le pei-