JEAN ROQUE Transcrits sur la pierre ils fourniraient de ma-gnifiques lithographies et l’artiste a grand tort de ne pas tenter, comme on le lui a déjà souvent suggéré, un moyen d’expression qui conviendrait pleinement à son talent. De ces projets, je ne citerai que deux exemples qui m’ont plus particulièrement frappé. Dans une page d’une superbe venue, Jean Roque a dessiné un groupe de marins chargés de cordages et le mouvement puissant et tenace des corps musculeux a pris une noblesse inattendue. Ainsi Géricault dessina les jeunes gens de la Course des Chil’a 1 X libres. L’autre dessin est une vision saisissante. Sur un quai, près des flancs d’un navire colossal sont amoncelées sur une voi-ture des oranges, et le thème que l’on croirait insi-gnifimt devient l’image la plus grandiose, un spectacle épique. Ces deux com-positions pour-ront couvrir des toiles immenses; elles paraîtront toujours débor-der la surface qu’elles occupe-ront. Ainsi Jean Roque ne consi-dère pas son art comme un jeu. Son intelligence compréhensive rend un juste tribut d’hommages aux maîtres qui se livrèrent uniquement à la joie de peindre, mais il n’est pas de leur lignée. Il se rattache à la tradi-tion de ceux qui portèrent dans leur peinture leurs idées et leurs passions, à Géricault, à Courbet. On ne s’étonnera pas de le voir préférer, parmi les écrivains, Balzac, Haubert, Guy de Maupassant et Zola. Me sera-t-il permis de saluer, dans de telles tendances, l’espoir d’une évolution heureuse de notre art de demain ? Depuis quelques années, à la suite du magni-fique effort des Impressionnistes, les jeunes talents paraissent se consumer dans des recherches purement formelles. Qu’ils poussent Eimpressionisme à ses dernières conséquences, qu’ils prétendent retrouver l’ingé-Imité des Primitifs ou qu’ils songent à une renais-sance classique, les peintres curieux d’innover se désintéressent absolument de l’objet qu’ils repré-sentent. Le domaine de l’art semble se retrécir quelques paysages, des académies, des natures mortes et, le plus souvent, des fleurs suffisent aux manifestations révolutionnaires. Dans ce vide de la pensée, le désir d’étre original se préserve mal de l’excentricité. Il y a là pour l’art un danger véritable. Pour lui insuffler une vie nouvelle, il faut le dégager de ce byzantinisme; il faut le pénétrer rie généreuses pensées. Sans doute, la doctrine de l’art pour l’art a sa part de vérité dans les époques d’affaissement public, lorsque la vie générale semble suspendue, l’artiste, sous la Restauration, sous le second Empire, se re-tranche dans son atelier. Mais quelle époque fut plus vivante, plus féconde, plus tourmentée que la nôtre? Quand les thè-mes furent-ils offerts plus ma-gnifiques aux cerveaux et aux cœurs ouverts à la vie ? Nous ne sa-vons ce que sera la société de demain, mais, si l’art doit y prospérer, ce sera en s’associant étroite-ment à la démocratie : il grandira pour le peuple et par le peuple. C’est donc en s’appliquant à la vie que les découvertes techniques auront réellement enrichi l’art. C’est en renonçant à leurs méditations sté-riles que les artistes sortiront de l’impasse où ils piétinent ; en s’associant au sentiment universel ils prendront vraiment conscience de leur person-nalité propre. La supériorité évidente de M. Mau-rice Denis dans le groupe qui l’entoure, ne vient elle pas de ce qu’il est le seul à avoir une foi ? Il avance avec sûreté, soutenu par une force interne. L’appui qu’il trotter dans la religion, d’autres peuvent le rencontrer dans le sentiment humain. Je crois deviner chez Jean Roque ce gage précieux d’avenir. LES N1ARTIG ces j1896) 29