L’ART ET LES ARTISTES LA 000 ,) éclate et pétille au soleil qui dore tant. J, Jean Roque aime Marseille, son agitation bruyante et sa vie intense; il admire le pittoresque brutal des vieilles rues qui dégringolent vers le port, toutes bariolées des linges étendus qui claquent au vent. Il aime surtout le port où la vie pullule, où les hommes travaillent à demi-nus, près des machines énormes, des cargaisons opulentes, des calanques rouge sang, des navires aux couleurs, aux formes, arts gréements et aux pavillons multiples, près des jeux infinis de la mer. A Paris, Jean Roque alla frapper à la porte de Gérôme qui le reçut dans son atelier. Il y travailla sérieusement mais donna le meilleur de son temps à l’étude des musées. Les longues heures qu’il passa au Louvre furent consacrées uniquement à la méditation des chefs-d’oeuvre ; comme jadis Sigalon, il n’essaya jamais de prendre une copie des toiles dont il scrutait les secrets. C’est en 1903 seulement, au retour du service militaire, qu’il devint élève de l’Ecole des Beaux-Arts. Il serait trop facile et d’ailleurs injuste, de dire qu’il ne dût rien à l’enseignement officiel, mais il faut reconnaitre que son tempérament se prêtait peu au jeu des exercices scolaires et des concours. Il ne fut pas parmi les lauréats semestriels de l’Ecole. Il n’y mit d’ailleurs aucune mauvaise humeur ; il est même monté en loge en 1909, mais il est tombé malade et n’a pas achevé le con-cours. Cependant M. Ferdinand Humbert avait remarqué, sous les maladresses de l’élève peu souple, l’originalité et le talent réels. Il s’intéressa à Jean Roque. S’il ne fut pas son maitre à l’Ecole où il dirige un atelier de femmes, il lui prodigua les marques d’intérêt. A deux reprises il l’emmena avec lui dans des excursions artistiques à Venise en 190.4, puis à Londres en 1909, le guida dans les galeries et lui fit faire avec les maîtres une connais-sance plus rapide et plus intime. De ces pèlerinages, Jean Roque a surtout gardé vive l’admiration pour Tintoret, celui de tous les peintres de la lagune qui est le plus notre contem-porain. C’est le Prix Chenavard qui a permis à Jean Roque de manifester sa valeur et de prendre contact avec le public. Seuls, les élèves de l’Ecole des Beaux-Arts ont le droit d’y concourir. Ils présentent des esquisses sur des sujets qu’ils ont librement adoptés en l’absence de tout programme. Le jury en choisit neuf et les concurrents désignés reçoivent une indemnité pour exécuter leurs oeuvres. Ils achèvent leur tableau chez eux en toute indépen-dance et c’est après une exposition publique que les prix sont distribués. Maître de sa conception et de ses développements, Jean Roque put donner sa mesure. Deux fois lau-réat du prix, ses deux compositions sont devenues les deux tableaux exposés au Salon des Artistes Français en 1905 et en 1909. Les Porteuses de Goé-mon (1908) révélaient, chez ce nouveau venu, des qualités singulières de sobriété, d’émotion et de puissance. Les femmes qui, sous le ciel lourd, marchent accablées par leur fardeau près des pierres et du sol monotone, formaient un poème concen-tré, un dans sa signification comme dans ses lignes. Mais le choix de la scène, cette Bretagne si fréquem-ment décrite et parfois d’une façon analogue, évo-quait des comparaisons et masquait l’originalité absolue de l’artiste. Celle-ci apparut, l’année sui-vante, avec Les Chevaux à l’Abreuvoir. Rien de plus ténu que le sujet, mais, pour qui voit avec intensité et grandeur, le lieu commun perd toute banalité et devient épique. L’acte jour-nalier prend, devant l’artiste, une valeur héroïque. Le groupe obscur envahit l’horizon. Le ciel chargé d’orage que plaque, parmi les nuages amoncelés, une tache livide, la glèbe argileuse tout imprégnée d’humidité, s’accordent avec les silhouettes des chevaux arrêtes près de la flaque argentée et avec le geste familier et large de leur cavalier. Un pinceau audacieux et presque brutal a brossé la toile avec une sobriété grasse, par accords amples, parfois sourds, une absence voulue d’agrément, une insis-tance tragique. Malgré les dimensions considérables de la toile, l’oeuvre déborde le cadre. Les Chevaux à l’Abreuvoir, achetés par Mat, sont conservés au Musée de Nice. Plusieurs beaux des-sins témoignent du soin avec lequel ils furent préparés. Ils demeurent, jusqu’à présent, le témoi-26