L’ART AZTÈQUE Phot. B. C CHAMBRE De PALAIS DE MITLA pour qu’elle disparût sous un manteau de caillots fumants à la fin des cérémonies, les flots de sang jaillis des artères tranchées. On élevait, aussi haut que les temples pyramidaux, des amas de têtes coupées. Il y avait des sanctuaires où l’on entrait par une bouche dont les dents écrasaient des crânes et déchiquetaient des entrailles et qu’on ne pouvait franchir qu’en marchant dans le sang jus-qu’aux genoux. Les prêtres écorchaient les hommes pour se vêtir de leur peau. Du fond de cette horrible buée rouge qui mon-tait de partout, prenait à la gorge, faisait rouler dans les veines un poison nauséeux, voilait le sou-venir, comment l’âme énervée et découragée des peuples eût-elle pu saisir ou même entrevoir un possible équilibre et dégager des formes qui l’envi-ronnaient ces grandes lois de la structure vivante d’où sortit, par l’Egypte et la Grèce, la civilisation? On dissimulait à leurs yeux tout ce qui n’était pas la mort. Le soleil ne touchait qu’au zénith l’autel sculpté qui se cachait au sein de la montagne arti-ficielle creusée d’un puits en son milieu. Les bas-reliefs plats dont on recouvrait les murailles et où l’on aurait pu voir des hommes aux casques emplumés chasser le tigre et le boa sous le vernis brillant des verts, des bleus-turquoises et des rongés, disparaissait sous le sang. Une vapeur d’abattoir masquait les idoles. La tradition de la 21 matière sculptée ne pouvait se transmettre à des générations mutilées, et la nature sur laquelle elles jetaient trop hâtivement les regards fumait toujours de pluie ou vibrait toujours de soleil. Ce n’est qu’une vague apparence qui a fait comparer les idoles de pierre que leurs outils de bronze déga-geaient peu à peu du bloc, aux purs colosses égyp-tiens dont les plans se répondent, s’amènent l’un l’autre et se balancent comme le flot des sables et des mers. Non seulement ils ne pouvaient pas dépasser, nais ils ne pouvaient pas atteindre l’étape architecturale de l’évolution de l’esprit. Sans doute, le souci d’une symétrie essentielle les hante quand ils dressent sur leur socle ornementé Tlaloc accroupi, les yeux caves au ciel, immobilisé dans une expression prodigieuse d’attente et d’ennui, Chac-Mool recueillant la pluie dans sots s’entre et la déesse de la mort vêtue de serpents et de griffes et levant sa face de squelette et ses horribles mains pourries. Mais leur destin épouvantable les avertit qu’ils n’auront pas le temps d’étudier le sens de la forme, de s’élever dans l’abstraction, de par-venir à la notion de l’harmonie. En hâte, ils disent ce qu’ils ont à dire, des visions confuses et vio-lentes, brèves, morcelées, un cauchemar pesant de tristesse et de cruauté. Même quand ils élèvent des statues entières, quand ils abandonnent pour un jour leurs combi-