L’ART ET LES ARTISTES préciser le siècle et le lieu, mais cela n’augmente pas notre joie. L’artiste n’a pas prétendu faire oeuvre d’histoire. Il copia la vie, avec ingénuité. Elle est encore là, après des siècles, toute palpitante. TABLEAUX DE FRANCIS JOURDAIN (Galerie Eus. Druet, 2o, rue Ravale). — Un véritable artiste, à l’oeil délicat, à la main légère, à la sensibilité qui se raffine, très en progrès depuis quelque temps. Il est à la fois naïf et précieux, précis et très subti-lement vague. Des transitions insensibles relient entre elles, d’une ligne à l’autre, d’une touche à l’autre, ces qualités contradictoires, mais dont la fusion, sur une toile, cause un plaisir tout à fait rare. M. Francis Jourdain fit à beaucoup penser à M. Francis Jammes. C’est tout naturel. Les analogies sont frappantes, et jusque dans le choix de certains sujets familiers, potagers même, mais je trouve moi, surtout dans la manière de les traiter. Chez le poète comme chez le peintre, c’est le même trait brusque et écrasé qui tout à coup s’effile, s’évanouit, laisse, exprès, l’oeil le perdre, le retrouver dans le vague. C’est une insistance qui soudain fait place à une sug-gestion. Art de nuances, enfantin et décadent, fait pour plaire à des barbares ou à des gens très raffinés, mais art essentiellement d’artiste. Parmi les peintres de la jeune école, je ne connais que M. Vuillard, dans ses meilleurs moments, qui m’ait paru égaler les toiles de cette exposition. Ce ne sont que des variations autour de quelques motifs, mais toujours d’une saisissante, originale présentation. Le spectateur est toujours invité à se placer à un point d’où les choses apparaissent sous un angle inattendu. Ainsi ses jardins, ses terrasses, ses ciels, ses natures mortes, ses fleurs nous sem-blent des choses nouvelles. C’est charmant. TABLEAUX DE LOUIS METTLING (1846-1904) (Galeries Durand-Ruel, 16, rue Laffitte). — Cette rétrospective aide à se former une idée suffisam-ment juste d’un homme qui fut un modeste et un consciencieux et ne chercha pas le succès. C’est un peintre d’autrefois, que ne toucha point l’Im-pressionnisme. Il présente, parfois, quelques ana-logies avec Ribot, mais parfois seulement car, d’une manière générale, sa palette est plutôt claire, plutôt aimable. Deux copies d’après Rubens, très bonnes, attestent sa virtuosité, son intelligence des vieux maîtres. Il aime peindre, cela se voit, à ses fleurs, à ses natures mortes, mais ses portraits par exemple, quoique excellents, n’atteignent point une portée psychologique. DESSINS D’AàIAN-JEAN REHAUSSES DE PASTEL ET SCULPTURES DE M.’. EERNIERES-HENRAUX (Galerie Boulet de Motive!, 28, rue Tranchet). — Ces dessins rehaussés de pastel font exactement la méme impression que les tableaux mêmes de M. Aman-Jean. Sans doute parce que ces tableaux, conçus uniquement en vue d’une suggestion mystérieuse, vous frappent par leur ligne générale et quelques rapports de ton, qualités qui restent au même degré dans les dessins. M. Aman-Jean est un des plus délicats artistes d’aujourd’hui. Il raffine sans cesse, d’abord sur la nature, puis sur ses propres raffine-ments. C’est en peinture, un procédé analogue à celui qu’employa Mallarmé. Il ne reste plus que le minimum de matière, et pour ainsi dire plus de sujet. L’effet porte sur l’enveloppe du sujet, sur l’atmosphère, sur l’effluve. Peinture de rêve, qui peut être parfois décorative mais sera toujours psychique et pleine de mystère. A côté de ces dessins si subtils, les sculptures de Bernieres-Henraux forment un vif contraste. Leur intention est précise, leur facture nette, leurs mouvements se referment sur eux-mêmes, leur ligne ne cherche pas à se confondre avec l’atmo-sphère, mais au contraire à enclore sans évasion des formes strictes et qui, ainsi ramassées, don-nent l’impression de forts volumes. Ses oeuvres sont donc à la fois de petites dimensions et mas-sives cependant, pleines de force et parfois de pensée. Les arrangements en sont toujours ingé-nieux. J’ai goûté surtout les sept groupes qui for-ment le surtout de table en argent (cire perdue) appelé l’Enlèvement. C’est tout un poème, spirituel jusqu’à l’ironie et charmant jusqu’au lyrisme, d’une originalité, d’une gaîté, d’une turbulence exquises. EXPOSITION CHARLES COTTET (Galeries Georges Petit, S, rue de 92e). — L’article récent ‘de M. Raymond Bouyer dans cette même revue sur M. Charles Cottes ne me permet plus l’outrecui-dante envie d’en écrire longuement à mon tour. Je ne me permettrai que quelques réflexions per-sonnelles. Les cinq cents oeuvres exposées là inspirent le respect. Nous nous trouvons devant une oeuvre enfin, une oeuvre véritable et qui justifie vraiment une exposition. Un quart de siècle de travail, une vie d’homme mûr. Pas une toile ici n’est indiffé-rente: dans toutes on retrouve un labeur authen-tique, une inspiration, une pensée vraie. Jamais M. Charles Cottet n’a peint pour la seule joie de peindre, mais il y a toujours mis la collaboration de son âme sérieuse, encore rendue plus grave par la confrontation avec les paysages mélancoliques, avec les existences navrantes et religieuses de la Bre-tagne. C’est la Bretagne qui lui fournit ses pre-226