L’ART ET LES ARTISTES et ne laisse pas, je l’avoue, que de m’inquiéter. Henri Cros est mort; s’agit-il d’un bas-relief uti-lisé par la Manufacture pour le décor d’un vase, ou d’un projet de vase proposé par Cros lui-même ? j’aimerais que le catalogue nous donnât là-dessus quelque précision et que le nom de Cros ne fût pas prononcé à la légère. Le nom de cet homme, qui a retrouvé le secret de la pâte colorée, de la pein-ture à l’encaustique, qui a fait passer dans ses oeuvres le frisson de l’âme antique, de cette âme gréco-latine qu’il connaissait pour avoir fréquenté les modèles antiques, aussi bien de la statuaire que de la littérature, restera comme un des plus grands noms de la fin du xix’ siècle. Certain bas-relief en grès exposé, d’autre part, au musée Galliera, montre à quel point cet artiste connaissait la tech-nique des traductions céramiques. Il est regrettable que son exemple n’ait pas été mieux compris à la Manufacture, où il avait son atelier. Je dirais la même chose, et plus encore, de certains vases et animaux exécutés en grès par une société indus-trielle, que je ne veux pas nommer, et qui se trou-vent dans le même jardin. Il y a là un vase avec des nymphes et un satyre, qui est tout simplement hideux, et pour lequel Huysmans aurait certaine-ment trouvé un déluge de mots empruntés à la cuisine, à la triperie et aux bocaux de pharmaciens. Même erreur pour ce qui est de certains modèles proposés à des céramistes par le sculpteur Pierre Roche la personnalité de cet artiste n’est certes pas en cause, et il ne m’en voudra pas de mêler son nom à une polémique qui ne s’inspire pas des indi-vidus, mais des idées; j’aime son talent délicat, son esprit inventif, curieux, mais qu’advient-il au four-neau de toutes ces délicatesses, de toutes ces curio-sités? Je préfère ne pas y penser, non plus qu’aux modèles de Joe Descomps, de Walton, de Wald-mann, de Joseph Chéret que dire de tel vase en terre cuite, par exemple, où l’on voit des pêcheurs se pencher sur les bords du vase et tendre leurs lignes. Imagination charmante, mais digne d’en-thousiasmer Vasari. Voici maintenant, car on peut faire au musée Galliera la séparation très nette, tout un groupe d’exposants que M. Eugène Delard, le conserva-teur du musée, a judicieusement mis en valeur, et auxquels il a libéralement accordé la place qui était due à leur personnalité Lenoble, Massoul, Henri Simmen, William Lee, Rurnebe, Lachenal, Dammouse, Delaherche, Moreau-Nélaton, De-cœur, Méthey, Bigot, hl »‘ Berthe-Cazin, et que je cite ici, au courant de la plume, sans prétendre les classer, mais ensemble, parce qu’ils forment un groupe homogène, où les principes que j’indiquais plus haut semblent généralement admis. Je ne puis examiner une à une les œuvres qu’ils ont exposées. Presque toutes sont intéressantes; beau-coup sont dignes d’entrer dans un musée; quel-ques-unes sont des chefs-d’œuvre du genre. M. et Mn’ Félix Massoul continuent, par exemple, en col-laboration, leur série de vases où tout est à remar-quer la couleur, la forme, le décor ; ils réussis-sent les reflets métalliques, le jaune, l’aubergine, et s’affirment particulièrement dans certains bleus d’Egypte, bleus profonds, sourds, riches, qui ne sont qu’à eux : là-dessus, l’ornement n’intervient que pour préciser la forme, svelte ou épanouie, et toujours largement conçu et exécuté; quelques boutons de salsifis, des plumes de paon, c’est peu de chose, et cela suffit cependant à mettre en pleine valeur la qualité du galbe et de la coloration. D’autres, comme M. Lenoble et M. Henri Simmen, dans leurs grès grand feu, s’inspirent, quant à la forme et au décor, de la céramique gréco-romaine. La matière a été portée à une haute tem-rature de façon à supporter, dans l’usage, des cha-leurs assez élevées. Je remarque, en passant, que les pièces ainsi cuites rendent, quand on les frappe nettement, un son presque cristallin. Certaines pièces sont poussées jusqu’à I.35o degrés ; or il est constant que les pièces soumises à une cuisson modérée acceptent une palette très étendue, une palette de peintre; mais les pièces soumises à une cuisson dépassant 1.000 degrés n’acceptent plus que certaines couleurs, par exemple les cuivres, qui, avec un feu réducteur, deviennent des rouges-flammés, ou, avec un feu oxydant, des verts; par exemple aussi les bleus de cobalt et les émaux terreux qui donnent les tonalités noires; et l’on peut dire que l’étendue de la gamme colorante est en raison directe de la température à laquelle on soumet les pièces, d’où la nécessité, si l’on veut que la pièce ne soit plus poreuse, et qu’en se vitri-fiant elle devienne véritablement un grès, de sim-plifier les couleurs, par conséquent les motifs de décoration et la forme elle-même. Voilà pourquoi sans doute M. Henri Simmen, en voulant adopter pour ses poteries un décor simplifié, s’inspire, cela ne veut pas dire imiter, de la céramique gréco-romaine l’ornement est stylisé, sans avoir la sécheresse des figures strictement géométriques; quant à la forme, elle rappelle celle des vases antiques, par exemple le rhyton, le canope, le lécythe, mais en les combinant et en les modifiant très heureusement. Ainsi de M. Lenoble, pour les pièces qu’il a exécutées d’après les dessins de M. Pontremoli, architecte, pour l’habitation grec-que de M. Théodore Reinach, à Beaulieu, où tout est grec, l’architecture, la décoration, les meubles, et même, paraît-il, le costume du concierge. 222