L’ART ET LES ARTISTES BAIGNEUSES Assises sur des pierres, au milieu du ruisseau, les pieds baignant dans l’eau vive… » (Pierre LOTI : Le Mariage de LM.) drions nous efforcer de faire ressortir ici la grande sincérité qu’il a mise dans son accomplissement. C’était certes un cadre merveilleux que celui dont il disposait pour faire mouvoir ses person-nages. Don des éruptions sous-marines et des madrépores, l’archipel possède une exubérante végétation quasi-tropicale. Ses îles sont acciden-tées de mornes pittoresques au sommet desquels s’accrochent de légers nuages errants apportés par l’alisé. Condensés en pluies bienfaisantes, ceux-ci maintiennent la végétation dans un état perpétuel de fraîcheur et alimentent d’innombrables ruis-seaux qui chantonnent dans les ravins. Trois notes caractéristiques ont attiré l’attention émue de l’ar-tiste : un ensemble de couleurs splendides inconnu de nos froids pays du Nord, le silence de la forêt majestueuse où l’on n’entend aucun pépiement d’oiseau, enfin le parfum enivrant exhalé par cette nature en perpétuel enfantement, nature très douce mais parfois se-couée par d’abominables cyclones. Si le peintre est impuissant à rendre l’absence du bruit et les senteurs violentes, il peut expri-mer du moins le calme magnifique et sa palette possède d’admirables ressources pour évoquer les jours tout poudrés d’or ou les nuits argentées. Baies paisibles où s’épa-nouit l’apothéose de la pleine lumière ; récifs de corail des atolls donnant au flot une extraordi-naire nuance verte, domaine d’élec-tion des poissons aux reflets de pierre précieuse; sous-bois au jour tamisé mais laissant pénétrer par place des paquets lumineux et par-semés de fleurs éclatantes; couchers de soleil aperçus par delà les troncs grêles des cocotiers qui s’avancent jusqu’à la plage, voilà les thèmes préférés de l’artiste, les fonds qu’il donne à ses personnages. « Je peins des Tahitiens dans leur milieu, nous dit-il, je suis venu ici pour cela. Je ne puis donc faire autre-ment que de condenser leurs carac-tères essentiels, de les intensifier et non de les adoucir pour obéir aux conventions faites et factices du joli… mes vahiné ne sont pas jolies, elles sont belles tout simplement ou du moins cherchent à l’être s. Comme l’a fait remar-quer Gauguin : è Ce qui distingue la Maorie d’entre toutes les femmes… ce sont les propor-tions du corps. Une Diane chasseresse qui aurait les épaules larges et le bassin étroit s, à la manière égyptienne. s Chez la femme d’Orient et surtout chez la Maorie, la jambe depuis les hanches jus-qu’au pied donne une jolie ligne droite. La cuisse est très forte mais non dans la largeur, ce qui la 210 BOUDERIE