L’ART ET LES ARTISTES BREUGHEL LE VIEUX — de son passage le long du Rhin, à travers les Alpes, ainsi que de ses séjours à Rome et à Naples. C’est dans cette dernière ville que se trouve son chef-d’oeuvre des Aveugles, dont une réplique, presqu’aussi belle, est conservée au Louvre. Mais, tandis que ses contemporains s’italianisaient au contact des chefs-d’ceuvre de la péninsule, lui res-tait tel que la nature l’avait fait, le peintre popu-laire de son pays et de sa race. Revenu dans les Pays-Bas, il s’établit à Anvers, ou, au port, dans les cabarets, à travers les foires et les kermesses, parmi les ivrognes trébuchants, il s’en fut rechercher l’humble spectacle des fètes champêtres, ce qui lui valut le surnom du Breughel des Paysans. C’est à Vienne qu’on peut le mieux apprécier le peintre, dont l’oeuvre est éparpillée dans l’Europe entière. Parmi les tableaux prove-nant de l’ancienne collection de Rodolphe II, il faut citer la Tour de Babel, le Massacre des Innocents, et surtout le Portement de Croix. Toutes ces scènes religieuses sont traitées coulisse des drames populaires et l’on y sent passer le frisson de crainte et de sang, évoquant ses malheureux compatriotes gémissant sous le joug de l’inquisi-tion et de la soldatesque espagnoles. Tour à tour humoriste, paysagiste, ou genriste, il inter-■1” t. LA PARABOLE DES AVEUGLES préta tous les sujets avec une originalité rare et un talent inimitable. Dans ses célèbres séries des Vertus et des Vices, il se montra, d’autre part, un moraliste puissant, fait pour parler à l’âme du peuple. D’autres fois, dit M. P. Manu, rentrant en riant dans le monde fantastique, il évoque la sor-cellerie du moyen âge et se complait aux plus amusantes diableries. Pendant la seconde moitié du xvr siècle, il est le grand comique de l’école flamande ; il se rattache, par les liens d’une frater-nité qu’il ignore, à la famille de tous les rieurs de l’époque ; mais il est surtout de ceux qui se sont servis de la gaîté comme d’un masque, poste cacher, en les laissant deviner, les inquiétudes, les mélan-colies d’un temps, où la vie humaine était comptée pour si peu, où la lutte était dans tous les esprits et dans tous les cœurs. â Pierre Breughel le Vieux mourut à Bruxelles en 1569, laissant deux fils qui devaient hériter en partie du talent de leur père. Huit ails plus tard naissait Rubens, la plus haute incarnation du génie artistique flamand au xvir siècle. 208 (A suivre.) L. MAETERLINCK.