• L’ART DÉCORATIF modèle, changeant avec lui selon sa pensée du jour. Dans l’état actuel Rodin a su combiner ce que donnaient des lignes invariables et des moments contradictoires pour faire d’Alexandre Falguière un buste qui restera parmi ses oeuvres une des plus typiques et des plus parfaites. Le chef d’oeuvre du Salon dit «du Champ de Mars>, me paraît être sans contredit le Débardeur’ de Constantin Meunier. Je suis persuadé qu’à cette figure il n’y a rien à reprendre. Elle se dresse victorieuse, au-dessus de toutes les autres, dans sa simplicité géniale. Le naturel de l’attitude dans la précision du geste et la sobriété des détails en fait un monument unique dressé à la glorification du travail dur et honnête. Il faut louer la Ville d’Anvers d’avoir placé sur une de ses voies le bronze de cette figure. On ne saurait donner au prolétaire une image de lui plus fière et de plus bel exemple. Jef Lambeaux est cette année largement représenté par quatre de ses oeuvres : Le Remords, groupe en plâtre représentant Adam et Eve s’enfuyant après la faute, courbés sous l’anathème divin. Cette oeuvre bien caractéristique du talent de Jef Lambeaux compte parmi les trois ou quatre Plus belles manifestations sculpturales de cette année. Jef Lambeaux est flamand. Son art aussi est flamand. Le Remords vit in-tensément par la répartition savante de la lainière. Ce groupe flambe d’une clarté qu’animent des ombres habiles, et l’ensemble est coloré comme un Rembrandt. La couleur, c’est cela surtout que Lambeaux cherche à obtenir et c’est pourquoi les questions d’éclairage sont pour sa sculpture questions de vie ou de mort. Dans un autre de ses envois, Imperia, toute l’expression meurt d’être contemplée dans un jour défectueux. Il en est de même pour Belluaire, groupe en bronze où la forme humaine s’enchevêtre avec celle du tigre dans un duel dont le sculpteur a su exprimer toute la violence. Quant au portrait de M. P . . toujours par Jef Lambeaux, il est mieux situé dans sa lumière. Il frappe par ses côtés inattendus et puissants. Le modèle est un homme d’une grosseur peu commune. Son ventre a plusieurs bases et son menton se stratifie. Jef Lambeaux a su tirer de cet amas de chairs humaines une signification imposante. L’homme est là, ter-riblement assis dans un fauteuil d’où il s’élève par étages, un poing volontaire sur la cuisse droite et l’autre poing posant sur l’appui du fauteuil une menace puissante. De cet industriel Jef Lambeaux a fait un symbole. Ce n’est pas là un capitaliste quelconque, c’est la personni-fication même du Capital et de l’Industrie dans leur force intelligente et inexorable. M. Emile Bourdelle semble devoir être plus tard 98 le continuateur de Rodin. Il est parmi les jeunes celui qui sait allier le plus d’intensité à une vision personnelle et à un travail consciencieux. Son groupe intitulé La Guerre et sa tête de La Dé-fense sont des preuves de l’amplitude de ses conceptions et de l’énergie de son tempérament, de même que le marbre des ‘Frais Grâces nous le montre sentimental et attendri à ses heures. Il faut avoir foi dans l’avenir de ce pur artiste. L’Age Mûr de Mo° Claudel est une sorte de chef d’ceuvre et son Portrait de M. le comte de M . . . en est une autre. Depuis Carpeaux on n’a rien fait de plus mouvementé que l’Age Mûr. La Jeunesse, personnifiée à genoux, tend désespérément les bras à l’homme qui s’éloigne d’elle et que la Vieillesse, vers laquelle il tombe à regret, attire et guide déjà. Rien de plus dramatique et rien non plus de plus vivant dans le fantastique, tant cet homme marche et tant ces deux femmes sont expressives dans leur mouvement. Le Portrait de M. le comte de M . . . est une oeuvre d’une rare aristocratie. L’attitude est fière, le regard est franc et altier, la bouche sensuelle et sentimentale semble frémir. C’est là une belle chose dans la belle matière d’un marbre unique, poli, luisant et coloré, qui tient à la fois du stuc, de l’albatre et de la cire. M. Niederhausem-Rodo expose un Verlaine que nous connaissons pour l’avoir déjà vu et déjà loué. Le sculpteur qui a connu le poète l’a représenté tel qu’il était dans ses moments de profonde et pénétrante rêverie. Le projet de fontaine en pierre de M. Aris-tide Rousaud est curieux par les deux tendances qu’on devine avoir successivement dominé dans la réalisation de ce monument. La jeune femme qui surmonte l’ensemble est d’un art élégant, proche celui de Falguière, tandis que les deux formes enlacées qui sont au bas du rocher sont d’un artiste qui a étudié les oeuvres de Rodin et qui les aime. Que M. Rousaud se laisse aller à la libre expression de son tempérament et nous pourrons beaucoup espérer de lui. M. Fix-Masseau se complais, lui, dans des créations délicates et dans des recherches de patines précieuses. Il faut le féliciter de la grâce langoureuse des personnages de La Para-bole du Faune et du charme de ses bustes patinés. M. Pierre Roche expose un haut-relief en plomb d’un certain caractère qu’il intitule La Femme de Loth, et M. Joly un Fragment dé-coratif pour la mise à l’étude d’une colonnade pour tombeau. Le modelé de cette figure est bien vivant et d’une jolie coloration blonde. Ce reprocherai simplement aux parties inférieures d’être trop lourdes.