N° IX L’ART DÉCORATIF LA SCULPTURE AUX SALONS Il est un nom qui domine toute la sculpture contemporaine, c’est celui d’Auguste Rodin. L’influence de Rodin s’exerce à cette heure sur les plus incontestables talents. Autour de lui se groupent, qu’ils le veuillent ou non, d’admirables artistes, des créateurs de chefs d’oeuvre comme Constantin Meunier, Jef Lam-beaux, Jules Desbois, Emile Bourdelle, Jean Baffier, Alexandre Charpentier, Me »e Claudel, Niederhausern-Rodo, Henri Cros et d’autres plus jeunes ou moins dégagés de formules surannées. M. Henry Fouquier prétendait ces jours derniers que notre art français n’avait plus la belle unité d’une grande école, que les efforts disséminés dans fâcheuse incertitude d’un vrai but. Si ce reproche peut être justifié quant à la peinture, il me paraît absolument téméraire en ce qui concerne la sculpture. Rodin a imprimé à cet art un mouvement nouveau tel que depuis Donatello et Michel Ange, on ne saurait trouver dans l’histoire de la statuaire une transformation plus considérable. Si l’on me demandait d’énumérer les grandes époques de la sculpture, je parlerais des Grecs, des Egyptiens et du Moyen Age anonyme, je ferais partir de Michel Ange et de son maître une période nouvelle, et je marquerais que Rodin a apporté dans l’art des préoccupations assez personnelles et assez générales à la fois dans ce qu’elles ont de révolutionnaire pour que notre temps se pût targuer dès aujourd’hui d’inaugurer avec te maître une formule nou-velle. M. STÜLER-WALDE il BERLIN JUIN 1899 L’école du moulage a vécu. Elle est, il est vrai, largement encore représentée à la Société des Artistes Français, mais chaque jour le public et la jeunesse artistique s’éloignent de sa conception facile et reprochable. Dans la lutte actuelle, déjà sa position est celle du vaincu. Rodin, après de longues années de combat incessant, est près de la complète victoire. Il apporte avec lui la conscience de la beauté de son oeuvre pleine de vérité, caractérisée et par conséquent forte de ce mélange de vie et d’idéal bien entendu qu’on retrouve dans les plus grands monuments humains. Il faut admirer dans la présente exposition cette Foe de Rodin si puissante et si primitive-ment féminine. Voila bien le triomphe du morceau dans le triomphe de la synthèse! J’ai entendu devant ce bronze prononcer la phrase suivante: «Tiens, voilà madame Balzac 5, On ne pouvait faire à cette oeuvre d’éloge plus complet et plus vrai. C’est bien le même esprit qui a conduit la même main dans la réalisation des deux oeuvres. Celui qui pensait ridiculiser une statue venait de montrer ce que l’art de Rodin possède de permanent, et com-ment toutes les oeuvres du maître sont créées d’après un principe uniforme. Le Rodin du Victor Hugo et du Baiser est le Même que celui du Balzac et de l’Eve. L’incompréhen-sible est qu’il se trouve des gens pour admirer l’un sans l’autre. Je veux aussi parler du buste de Falguière par Rodin. J’ai eu la bonne fortune de voir éclore quotidiennement cette oeuvre. J’ai regret de ne l’avoir point photographiée jour par jour, tant elle suivait la psychologie du L’ART DÉCORATIF. No. 9. 97 13