L’ART DÉCORATIF génier à décorer une surface, comme nous faisons depuis Philibert De Lorme. Et quelles décorations! On n’y sort de la morne banalité des faux pilastres ioniques, corinthiens, composites, de l’ennui des frontons de baies proposant une rangée de triangles à notre admiration, que pour tomber dans le solécisme saugrenu des clefs de fenêtres transformées en mascarons grimaçants (qu’est-ce que ces têtes-là peuvent bien faire à cette place?). Puis, comme l’erreur engendre l’erreur, ce système de décor parasite, conséquence forcée d’un point de départ faux, s’étend à chaque détail. Des consoles, dont une ou deux côtes et quelques creux onc-tueusement modelés (comme on en voit de jolis exemples dans les deux façades de M. Schoell-kopf) suffiraient à faire des formes exquises, une caresse pour l’oeil, sont au lieu de celà, entortillées de couronnes sur lesquelles on cherche d’instinct les inscriptions <à mon époux», aà notre tante», à moins qu'il n'en surgisse une ménagerie de lions de l'Atlas. Cela s'appelle donner l'expression. L'expression de quoi? Avec le principe de «la masse modelée» (aux choses nouvelles il faut des mots nou-veaux), l'architecture retrouve la source de ses procédés naturels, et ces aberrations se suppriment d'elles-mêmes. L'organe accessoire nait comme d'une poussée de la masse prin-cipale. Où commence-t-il ? on ne le sait au juste. Tout s'arrondit, se fond, s'adoucit sans émasculation ni mièvrerie. Ceci s'observe dans la maison construite par M. Ch. Plumet, rue Tocqueville, reproduite dans le n° 5 de l'Art Décoratif; le mode de naissance des consoles, qui viennent comme fondues, l'exclusion du tranchant de l'arête vive dans leur profil, les balcons s'excroissant en quelque sorte des murs, la mouluration des baies où l'artiste semble chercher à substituer l'indéfini au défini, si l'on peut ainsi s'exprimer, sont des traits carac-téristiques de cette œuvre. Mais chez M. Plumet, esprit sobre chez qui la justesse du sens et la finesse du goût l'emportent sur une trop révolutionnaire exubérance d'innovations, la ten-dance reste discrète ; c'est la main légère d'un Parisien qu'elle guide. Dans l'hôtel de l'avenue d'Iena, sous le ciseau du jeune Alsacien d'ori-gine, elle s'affirme bruyamment, éclate comme une fanfare. Le plus singulier, c'est que ce n'est point par les considérations développées plus haut, par des réflexions intrinsèques à son art que M. Schoellkopf s'est trouvé conduit aux con-clusions auxquelles il sait donner cette forme personnelle et brillante. On va voir la genèse de son œuvre par la lettre suivante qu'il nous écrit. «Vous me demandez comment je suis arrivé à mes idées sur mon art. J'ai commencé comme tout le monde par le classique, la renaissance, le Louis XV. J'ai remarqué bientôt qu'il est absurde de s'appuyer sur l'architecture grecque ou romaine, le climat, les matériaux et les besoins modernes n'étant pas en rapport avec elles; j'ai donc cherché quelque chose de plus pratique. Dans l'architecture classique, on ne tient pas compte de la matière ; on y fait les mêmes moulures en pierre, en bois, etc. J'ai réfléchi d'abord aux convenances de la pierre. C'est une matière se prêtant à toutes les formes, mais à une grmse échelle ; elle doit surtout garder le caractère de force. Souvent, en re-gardant un bâtiment non épanelé avant le ravalement, je lui ai trouvé beaucoup de carac-tère, qu'il perd après le ravalement. J'ai donc cherché à m'en rapprocher. Une autre consi-dération qui m'a guidé, c'est qu'on admire les vieux monuments en ruines, où l'action du temps a coupé les lignes, amolli les arêtes trop vives et modifié tout le bloc. «La nature elle-même se comporte tout autre-ment que les architectes. Les branches d'un arbre sont reliées au tronc non par une ligne, mais par une forme enveloppe; la branche fait un tout avec l'arbre. Dans la figure humaine, il n'existe pas de ligne de jonction entre le nez et la face; ce qui fait que le nez est indispen-sable (comme effet) à l'ensemble de la figure. Les yeux, la bouche, que l'on peut comparer à des fenêtres percées dans une façade, ne sont pas troués à l'emporte-pièce, mais adoucis par des formes arrondies ou en pentes. «De là toute une route à suivre pour chaque architecte suivant ses goûts, ses idées, mais tou-jours en rentrant dans ces considérations ; car je trouve qu'il ne doit plus y avoir de style, mais un genre personnel à chaque architecte, et de plus, variant suivant l'espèce des con-structions qu'il exécute. Encore un contre-sens de l'architecture classique: une église, un bâti-ment administratif, un panthéon sont faits dans des styles absolument pareils; d'où la nécessité de mettre le sentiment dans la décoration ....» Tous les chemins mènent à Rome. Il y aurait peut-être des réflexions à faire sur celui qu'a suivi la pensée de M. Schoellkopf, mais puisque tout est bien qui finit bien, acceptons-le, d'autant plus que sa comparaison de la façade avec le visage humain explique admirablement en quelques mots la différence de caractère entre son architecture et celle qui court les rues. Bien des choses intéressantes sont à souligner dans cette courte lettre écrite au pied-levé; des choses sur lesquelles nous pensons comme le jeune artiste, et que nous voudrions développer, si la place ne manquait. 47 6'