L’ART DÉCORATIF d’une vigoureuse originalité viennent encore attester son talent. Evitons au lecteur l’ennui d’une description de l’oeuvre de M. Schoellkopf. Les couleurs, les sons, et les architectures ne se racontent pas. Qu’on regarde nos gravures, celà vaudra mieux ; il y en a neuf pages qui peuvent donner l’idée des qualités en plein essor et de celles qui ne sont encore qu’en germe. Ajoutons seulement quelques mots nécessaires à l’intelli-gence des dispositions. L’hôtel est situé entre l’avenue d’Iena et la rue Fresnel. La seconde est à huit mètres en contre-bas de la première. Le terrain sur lequel ]a construction et, derrière elle, le jardin s’étendent est au niveau de l’avenue d’Iena sur toute sa profondeur ; rue Fresnel, le mur de soutènement, surmonté d’une balu-strade en pierre, est percé d’une vaste baie grillée qui forme l’entrée des écuries, logées dans le sous-sol du jardin. Quant au plan de l’hôtel même, nous nous sommes abstenus de le donner parceque ses dispositions, conçues pour les convenances d’une famille étrangère extrême-ment nombreuse, répondent à un cas des plus exceptionnels. Il suffit de savoir que le grand escalier, éclairé du haut par une superbe verrière en coupole, occupe le centre de l’hôtel, et qu’aux étages, ses paliers forment autant de galeries elliptiques avec le vide de la cage au milieu. Le rez-de-chaussée est occupé, outre le grand vestibule et les locaux de service, par deux vastes salles, l’une de billard, l’autre de jeu pour les enfants; le premier étage, par la salle à manger, le petit salon et la bibliothèque devant et le grand salon derrière; les autres étages, par les chambres à coucher avec leurs garde-robes et leurs salles de bains. Celà dit, on se figure à peu prés les maîtresses-lignes du plan ; les autres n’ont qu’un intérêt spécial. Entrons maintenant dans l’analyse des ten-dances qui se dégagent de l’oeuvre. La première, qu’on retrouve, plus ou moins prononcée, chez tous les architectes modernistes, pourrait être définie en ces termes: l’artiste modèle des masses au lieu de dessiner des lignes. Et c’est ici que le modernisme architectural reprend — sans la moindre analogie de formes —la tradition gothique interrompue par la renais-sance et la série des styles qui en ont dérivé. Expliquons-nous. Dans l’architecture gothique, le constructeur dispose les masses selon les besoins de sa science. C’est lui, non l’artiste, qui fait l’ébauche des formes. Celà fait, l’architecte promène non le crayon, mais le ciseau sur celles-ci, leur donne la façon, en fait surgir le détail, lequel est en même temps le décor. Il se trouve que, par suite d’intersections nombreuses de 46 plans et de surfaces, résultat d’une construc-tion complexe, ces opérations engendrent les angles et les lignes en grand nombre; mais ces lignes sont l’effet et non la cause; elles sont, pour ainsi dire, accidentelles. Les démar-cations d’organes et de surfaces sont accusées par elles; mais tout se tient et ne fait qu’un seul corps. Chaque détail est un morceau de la chair, une goutte du sang de l’ensemble; on ne pourrait l’amputer sans blesser celui-ci jusqu’aux sources de la vie. Cet aspect, conséquence des procédés inventés par les architectes gothiques pour la grande con-struction, se retrouve dans leurs petits ouvrages. Par lui la façade d’une simple maison bourgeoise, d’une boutique prend un relief intense. Tout s’y tient; chaque saillie de détail semble in-dissolublement liée au gros de l’oeuvre et né-cessaire à celle-ci. Il donne, en un mot, une impression de même genre qu’une tuasse fondue d’un jet avec ses irrégularités, ses excroissances, ses cavités. La renaissance vient. Elle dédaigne six siècles de progrès de la construction, les laisse tomber dans l’oubli. On en revient aux procédés romains. Il ne reste à peu près plus que des murs plans. Pour l’architecte, il ne s’agit plus de modeler des masses: sa tâche n’est désormais que de la décoration de surfaces. Elle se réduit à tracer sur un tableau de pierre des ornements quelconques: des représentations au trait d’ar-chitectures anciennes, des combinaisons de géo-métrie plane, du dessin floral, etc. La ligne n’est plus le résultat comme tout-à-l’heure, elle devient le but même. Et comme conséquence, le relief, les formes plastiques, jadis substance même de l’oeuvre, n’y prennent plus que le caractère accidentel; les saillies ne sont plus que des superfétations, des additions après coup dont on peut retrancher l’une ou l’autre sans changer grand -clause à l’impression de l’en-semble. C’est sur ce procédé que nous vivons encore. En un mot, notre architecture domestique, c’est du dessin au trait, et rien de plus. Les lignes en sont tracées sur un tableau de pierre au lieu de l’être sur du papier; à part celà, le plan ou la réalité, c’est la même chose. On porte souvent au compte des règlements de police l’incurable platitude de nos façades. Celà n’est vrai qu’en partie. La source en remonte surtout au mode de conception même de l’architecte. M. de Baudot, M. Plumet, et, dans le travail qui nous inspire ces réflexions, M. Schoellkopf font des façades satisfaisant aux règlements, et qui ne donnent point l’impression de platitude. Pourquoi? Parcequ’ils modèlent des masses, comme faisaient les gothiques, au lieu de s’in-