N° VIII L’ART DÉCORATIF STli H LER B ALBE â BERLIN LE MODERNISME DANS L’ARCHITECTURE Ils ne sont pas légion, les modernistes de l’architecture! Ils feraient penser, ces sept ou huit indépendants dont l’ceuvre émerge de l’universel fatras scolastique, au vers de Virigile: Apparent rari nantes in gurgite vasto, s’il n’était démodé de penser en latin. C’est l’architecture qui devrait marcher en tête des autres arts vers la rénovation. Elle vient bonne dernière. Un mal, car l’architec-ture est la grande éducatrice du goût des talasses; ce sont ses leçons, toujours et partout présentes, qui forment le sentiment artistique du public et par conséquent, dans l’état actuel, contri-buent le plus à le retenir enchaîné au passé. Mais peut-être est-ce en même temps un bien: le rempart contre les excès de la révolution, les folies des réformateurs excentriques, l’étroit fanatisme des huguenots de l’art nouveau. A supposer la théorie du bloc bonne en politique, il vaut mieux en tous cas qu’elle n’aie pas cours en art. Pourtant, il semble que nous touchions au moment où l’architecture va se mettre en branle à son tour. On sent que quelque chose se prépare. A côté des noms connus de de Bau-dot, de Plumet, de Bonnier, de Benouville, de Guimard, de Horta, on en voit poindre de nouveaux. En voici un: Xavier Schoellkopf. Un tout jeune, sorti depuis trois ou quatre ans à peine de l’Ecole des Beaux -Arts, et qui, très-vite lancé dans la pratique par la construc-tion d’immeubles de rapport sous un patron vieux et malade, s’affirme de suite, après la mort de celui-ci, par un coup brillant. L’hôtel fraîchement terminé, 4, Avenue d’Iena, re-marqué de tous ceux que les hasards de la promenade ont conduit ces temps-ci dans les parages du Trocadero, est l’oeuvre de M. Schoell-kopf. MAI 1899 Il y a des artistes qui débutent par un chef-d’oeuvre définitif. C’est l’exception ; presque chaque fois qu’elle se produit, l’artiste donne d’un seul coup tout ce qu’il peut donner, et chacun de ses ouvrages suivants est un recul. La musique fournit l’exemple le plus curieux du cas : Halevy, qui, après avoir débuté par la juive, ne sut plus que descendre une échelle aboutissant en vingt ans au néant du Déluge. M. Schoellkopf n’est pas de ces exceptions ; ses amis doivent s’en réjouir pour lui. L’hôtel de l’avenue d’Iena est une oeuvre inégale, l’oeuvre d’une imagination brillante au service d’un cerveau bien organisé, avec l’entrain, la hardiesse, la fraîcheur, les belles envolées d’une jeunesse vigoureuse et primesautière, et à côté, les inex-périences, les redondances, le décousu de l’artiste novateur et débordant de sève, qui n’a pas encore su préciser sa formule. Un ouvrage où des pages presque magistrales, n’appartenant qu’à leur auteur, en côtoient d’autres oit se mêle un peu de tout. Plus tard, cela se coordonne; la per-sonnalité de plus en plus forte fond le legs des prédécesseurs dans une forme de plus en plus précise; de Rienzi, il sort Tanithauser, puis Lohengrin, puis le reste. Dans l’hôtel de l’avenue d’Iena, la belle page, c’est la façade principale — une façade neuve, non encore vue, riche et sobre à la fois, par-faitement harmonieuse — celle de derrière (sur le jardin), le portail des écuries avec ses superbes sculptures, le grand vestibule et la feronnetie de ses portes grillées, les piliers de l’entrée sur l’avenue d’Iena. Celles où la personnalité de l’auteur, embroussaillée dans une exubérance d’idées non encore mûres, -ne se dégage encore qu’incomplètement, ce sont les intérieurs. Pourtant, même là, entre beaucoup de places où se font sentir l’influence des volontés du Client, les maladresses d’interprétation des col-laborateurs, enfin les mille causes qui conçourrent à défigurer la pensée de l’architecte, des morceaux L’ART DÉCORATIF. No. 8. 45 FIND ART DOC